Sujet: Re: mise en examen Nicolas Sarkozy Jeu 5 Sep 2024 - 23:29
Ce jeudi 5/09/2024 après délibération, le tribunal a finalement rejeté la demande de Nicolas Sarkozy.
Mediapart du 5/09/2024
L’ultime manœuvre de Nicolas Sarkozy pour repousser le procès libyen a échoué 5 septembre 2024 | Par Fabrice Arfi et Karl Laske:
La défense de l’ancien président a demandé la réouverture de l’enquête, estimant avoir découvert une pièce à décharge qui lui aurait été dissimulée. Une manipulation à laquelle le tribunal n’a pas donné suite, après un réquisitoire implacable du PNF.
La dernière audience de préparation du procès monstre de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, qui doit se tenir de janvier à avril 2025 au tribunal de Paris, a donné lieu, jeudi 5 septembre, à un double spectacle judiciaire pour le moins contradictoire. D’abord un silence bavard, puis beaucoup de bruit pour rien.
Le silence bavard : dans une salle d’audience où l’on a pu entendre les mouches voler, il a fallu plus d’1 h 30 à la présidente de la 32e chambre correctionnelle, Nathalie Gavarino, pour simplement lire la longue litanie des charges qui pèsent contre les treize prévenus du futur procès, démontrant ainsi froidement l’incroyable épaisseur du dossier.
Parmi les prévenus figurent l’ancien président Nicolas Sarkozy, trois de ses anciens ministres, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth, son ancien collaborateur ministériel Thierry Gaubert, ou encore les intermédiaires Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri.
Tous les mis en cause, qui bénéficient de la présomption d’innocence, sont suspectés d’avoir participé à des degrés divers à une vaste entreprise de corruption entre la France et la Libye avant et après l’élection présidentielle de 2007. Aucun d’entre eux n’était présent, mais ils étaient représentés par une forêt d’avocats qui appartiennent pour la plupart aux plus gros cabinets de la place parisienne.
Le bruit pour rien, ensuite : à la veille de l’audience, l’un des deux avocats de Nicolas Sarkozy, Christophe Ingrain, avait déposé un mémoire réclamant un supplément d'information et ainsi, de fait, le report du procès au prétexte qu’une pièce « capitale » à décharge aurait été « dissimulée » par la justice à son client. Nicolas Sarkozy est coutumier de ce type de stratégie et d’arguments – il l’avait déjà éprouvé dans le dossier Bismuth, une affaire de corruption pour laquelle il a été condamné en première instance et en appel.
Durant sa plaidoirie devant le tribunal, Christophe Ingrain a pu préciser ses arguments. Il a dit avoir découvert dans un autre dossier judiciaire – l’affaire de la fausse rétractation de Takieddine pour laquelle son client est doublement mis en examen – l’existence d’une note de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui dédouanerait Nicolas Sarkozy et que les magistrats auraient soigneusement cachée au tribunal.
Cette note du service de renseignement est datée de décembre 2020. D’après Me Ingrain, il s’agirait d’une « analyse » de la DGSI qui aurait conclu à la fausseté d’un document révélé par Mediapart en 2012 : une note issue des archives libyennes qui évoquait en 2006 un « accord de principe » pour un financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Me Ingrain s’est ainsi fait le porte-voix d’une défense « choquée » face à une instruction à charge qui aurait été « bâtie sur du vide » concernant une note libyenne « à la base de l’enquête ». Il a demandé au tribunal de rouvrir le dossier pour réclamer de nouvelles pièces à décharge que détiendraient les services secrets dans leurs armoires, d’après lui.
En dépit du soin apporté par l’avocat pour paralyser le procès, la manœuvre n’aura duré qu’un temps après les réponses apportées par le Parquet national financier (PNF) et l’ONG anticorruption Sherpa, représentée par l’avocat Vincent Brengarth.
Le fait est que ce que la défense de Nicolas Sarkozy a présenté comme une analyse de la DGSI était en fait le compte rendu d’un entretien du service de renseignement français avec l’une de ses sources, un agent de l’ambassade de Libye, qui était venu raconter qu’une proche de Nicolas Sarkozy, la femme d’affaires et communicante Michèle « Mimi » Marchand, s’était associée à un « mercenaire » multi-condamné « afin de prouver » que le document révélé par Mediapart serait un « faux ». Le tout dans le cadre d’une démarche financée par un proche de Nicolas Sarkozy, selon un autre passage du même compte rendu de la DGSI que la défense de l’ex-président a passé sous silence.
Quand Sarkozy plombe Sarkozy
Premier à donner la réplique, l’avocat de Sherpa, Me Brengarth, partie civile dans le dossier, s’est dit « sidéré » par la « défense inventive et contre-productive » de Nicolas Sarkozy, dont il a tancé la démarche « artificielle » et « surréaliste », « à la limite de la manipulation intellectuelle, si ce ne l’est pas ».
Le procureur du PNF, Quentin Dandoy, a pour sa part expliqué au tribunal qu’il voyait dans la tentative de la défense de Nicolas Sarkozy une façon de « tordre la vérité », au risque de commettre « certains impairs ». Le premier d’entre eux étant de faire accroire que la note de la DGSI avait été dissimulée alors que Nicolas Sarkozy y a eu lui-même accès, étant mis en examen dans le dossier Mimi Marchand.
Le procureur a ensuite ciblé la défense de Nicolas Sarkozy qui continue de dire – comme elle le fait depuis plus de dix ans – que la note révélée par Mediapart serait le déclencheur de l’enquête judiciaire qui amène aujourd’hui l’ancien chef de l’État devant le tribunal. Il n’en est rien, a rappelé le PNF, listant tous les éléments qui ont présidé à l’ouverture de l’enquête. Et après dix années d’instruction, il est peu dire que le dossier libyen ne repose pas sur cette note, mais sur des centaines de documents et témoignages recueillis dans le monde entier.
Par ailleurs, le PNF a rappelé que Nicolas Sarkozy a déjà contesté l’authenticité de la note révélée par Mediapart et qu’il a perdu devant la justice, et ce, jusque devant la Cour de cassation, soit la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Il s’agit donc d’une histoire définitivement jugée. D’ailleurs, tous les arguments avancés par la source de la DGSI pour décrédibiliser ladite note libyenne ont déjà été examinés par la justice, a insisté le PNF.
Mais ce n’est pas tout. La source de la DGSI sur laquelle s’appuie la défense de Nicolas Sarkozy est un officiel libyen qui est, lui aussi, mis en examen dans l’affaire Mimi Marchand. Il est suspecté d’avoir participé à une conspiration pour dénigrer la justice française dans l’affaire… libyenne. Une précision que les avocats de Nicolas Sarkozy ont, également, oubliée de rappeler.
Et puis cerise sur le gâteau, le PNF a détaillé pourquoi il fallait, d’un point de vue judiciaire, prendre avec « une grande prudence » les notes du renseignement. S’adressant à la présidente du tribunal, le procureur Dandoy a lancé : « On vous demande de récupérer rien pour en faire quoi ? Rien […]. Que fait-on de renseignements s’ils ne sont pas vérifiés ? Rien. Cela n’a aucun intérêt à part perdre du temps. »
Le PNF a cité au soutien de sa démonstration un allié de poids. Un certain Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait en effet déjà été interrogé par la justice en 2023 sur la fameuse note de la DGSI – qui est en réalité en sa défaveur quand on la lit intégralement. L’ancien président avait déclaré à son sujet : « Ça fait partie des notes blanches de la DGSI, que je connais bien ayant été ministre de l’intérieur, ces notes ramassent les ragots qui traînent un peu partout et qui ne se fondent sur rien de précis. »
« Et c’est précisément ce type de note que la défense de Nicolas Sarkozy vous demande de récupérer aujourd’hui », a conclu, presque amusé, le PNF. Invité à reprendre la parole pour répondre, Me Ingrain a préféré ne pas le faire. Après en avoir le délibéré, le tribunal a finalement rejeté la demande de Nicolas Sarkozy.
Le procès de l’affaire libyenne doit s’ouvrir le 6 janvier 2025.