Les religions mésopotamiennes font état d'une triade de dieux planétaires dont
Innanna qui correspond à
. Assimilée à l'
Ishtar akkadienne et à
Astartè - dont on retrouve la racine dans
Artémis -, elle est à la fois déesse de la guerre et de l'amour, c'est-à-dire de la mort et de la vie. Elle avait épousé dans la joie le berger
Dumuzi ; mais son chant d'allégresse déjà en ce jour témoigne du sort nécessaire et tragique dont elle sera l'instrument : « Ô mon bien-aimé, homme de mon
, toi, je t'ai entraîné vers un désir funeste ; tu as touché de ta bouche ma bouche, tu as posé mes lèvres contre ta tête, c'est pourquoi tu as été condamné à un destin funeste. » Son ambition l'ayant conduite à conquérir également la domination du
Monde inférieur, elle échoua d'abord dans son projet et fut condamnée, si elle voulait remonter de l'enfer, à fournir un remplaçant. Ce remplaçant, ce sera
Dumuzi qu'elle ira trouver entourée d'une cour de «
gallu » ces démons que nous retrouverons dans l'entourage de
Lilith . « Elle fixe un œil sur lui, l'œil de la
Mort ! Elle jette un cri contre lui, le cri de la damnation ! »
Bhavani, la sœur-épouse et fille de
Shiva, offre, dans la mythologie indienne un exemple comparable. Tour à tour bienfaisante et terrible, elle est appelée «
la Créatrice,
la grande Ouvrière,
Celle qui donne l'existence,
la Félicité universelle,
la Mère,
la Matrice des êtres,
la Sainte,
la Bonne », etc. Mais elle « a aussi son côté sombre, son aspect malfaisant et destructeur : elle produit, mais pour détruire et reproduire encore ; elle purifie, mais en consumant, elle donne une vie nouvelle au prix de la mort, elle dispense le malheur comme le bonheur, verse les fléaux comme les bénédictions, venge et punit comme elle récompense ».
Quant à
Khali, l'un des noms de l'épouse de
Shiva, la statuaire indienne nous la montre sous les traits d'une sorcière affreuse et exsangue, aux doigts osseux, les dents en avant, prête à satisfaire une faim dévorante, image d'une vieille égoïste et perverse, possédée de voracité et de déchéance. « La pulsion de vie qui nous provoque à l'existence, qui pousse le nourrisson à saisir avidement le sein de sa mère pour boire son amour en même temps que son lait, se révèle ici sous son aspect négatif, repoussant, quand bien même spontané et naturel, et cependant, tout aussi innocent que les gestes charmants du petit enfant », écrit à peu près
H. Zimmer. La déesse se nourrit des entrailles de ses victimes ; elle en déchire les corps, en extrait les viscères qu'elle avale goulûment. C'est là le mets qu'elle préfère, tout fumant encore de la vie qui s'en va. Cependant, elle n'est qu'une étape dans la permanence du monde ; elle assure la nécessité des retours cycliques ; sa mission mortifère assure la vie propre à chaque créature qui vient au monde et à laquelle doit en correspondre une autre qui retourne à la terre.
Khali la Noire n'est que le revers d'une même féminité dont
Shakti serait l'avers.
Shakti présente l'aspect purement créateur de cette déesse gérante de l'énergie cosmique, par la maternité dont elle incarne le principe. Elle est toute bienveillance, tout bienfait, toute sérénité.
Si nous nous sommes limités à l'aire indo-européenne, ce n'est pas que les exemples manquent en d'autres régions culturelles. En
Polynésie par exemple,
Hina est
uri. personnage, tantôt femme, tantôt démon, dont les surnoms décrivent les nombreux traits, parfois antithétiques, de sa personnalité :
Hina-de-la-Lune est une déesse de la fécondité ; identifiée à sa compagne
Pele,
Hina-qui-mange-la-Lune est un aspect de la déesse des feux volcaniques,
Hina-la-gardienne protège les voyageurs ; mais
Hina-qui-bat-le-tapa, tout en présidant aux travaux féminins, semble aussi un avatar de la grande
Hina-des-Ténèbres qui amena la mort parmi les hommes.
Les empereurs du
Japon se proclament de la race d'une déesse primordiale du panthéon
shinto,
Izanami. Elle est à la fois mère prolifique, déesse du métal, de la terre et de l'agriculture, mais aussi déesse des
Enfers et son désir de vengeance à l'égard de son époux,
Izanagi, lui fit proférer la redoutable menace de tuer chaque jour mille personnes.
Les
mères primordiales sont rarement exclusivement bonnes et les
Grandes Déesses présentent le plus souvent un aspect mortifère. Inversons la perspective en abordant l'étude du personnage de
Lilith et souvenons-nous que bien des démons - même femelles ! - conservent, comme tant de lutins et de fées de nos contrées, des traits bénéfiques et renvoient, eux aussi, à l'ambivalence de leur origine fantasmatique.