Je préviens, c'est long... Désolée.
Je m'en remets facilement aux autres en sollicitant leurs avis, ce qu'ils pensent. Néanmoins, sur certains sujets, la Balance que je suis manque de flexibilité.
C'était il y a un peu plus d'un an. Je devais refaire ma coquille (ou
« corset siège moulé », mais on dit coquille). La coquille est une sorte de siège orthopédique en plastique qui maintient le patient ayant un important déficit musculaire droit et digne dans son fauteuil. C'est dire l'importance de l'appareillage sur le plan social et esthétique
La coquille empêche/contrôle aussi et surtout l'apparition de nouvelles déformations.
À l'époque, elles étaient conçues par un moulage du patient dans des bandes de plâtre ou bien l'orthoprothésiste repartait sur la coquille déjà existante pour l'élargir par exemple. L'empreinte était retravaillée puis thermoformée. Et ensuite essayage, modifications, essayage jusqu'à ce que le patient soit bien dedans.
Aujourd'hui il existe des méthodes de prise d'empreintes par scanner au moins pour les corsets mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas pour les corsets sièges ortho.
C’était bien dans un coin de ma tête mais je n’étais absolument pas pressée de refaire ma coquille. La mienne me convenait toujours, pas de mauvais appui, et je n’avais pas grossi au point de déborder du siège. Mais comme elle se faisait vieille (fabriquée en 2004 à partir d'un moulage de 99) et que les
« hautes autorités médicales parisiennes » avait jugé qu’il était préférable de la refaire… Alors, soit. Le médecin rééducateur avait évoqué l'idée sur 3 bilans avant que je ne commence à y réfléchir
Je dois aussi dire que j’appréhendais car l’orthoprothésiste qui s’occupait de moi depuis le début de mon parcours appareillage ortho et donc qui savait comment je fonctionnais (comprendre : je ne suis pas un cadeau
) n’exerçait plus depuis des années.
J'avais par ailleurs en tête un essayage désastreux en 2003 où j'avais fini par me dire que j'étais une sacrée plaie. Moulage, essayage, des points d'appui... À une de mes premières demandes, l’orthoprothésiste m’avait engueulé comme si j’étais du poisson pourri tout en me signifiant que mon chir avait fait n'importe quoi en me laissant carte blanche au niveau des instructions. Sauf que le chir, qui me faisait une confiance absolue, m'avait toujours laissé guider l'orthoprothésiste. J'ai rien compris jusqu'à penser que peut-être c'est vrai j'en demandais trop, que j'étais trop précise, d'une exigence maladive, qu'après tout à 17 ans je restais une gamine au regard de son expérience professionnelle... Pourtant c'étaient mes fesses qui étaient dans le siège. Et ma fesse gauche me faisait mal
*ma fesse somalienne, la droite est plus brésilienne*. Mais ce corps est exigeant, plus que je ne le souhaite moi-même.
J'apprendrai plus tard par les hautes autorités médicales que l'orthoprothésiste était en fait en plein divorce. C'était sans doute pour cette raison que j’en avais pris plein la tête. On était finalement reparti sur l'ancienne en l'élargissant mais notre lien avait été altéré par le clash.
Alors en octobre 2015, j'ai donc contacté un nouvel orthoprothésiste. Le centre était plus près de chez moi, les locaux plus grands aussi. L'homme qui s’est occupé de moi avait quelque chose de très mercurien tant au niveau de sa façon de s'exprimer que des traits de son visage. Il parlait beaucoup tout en utilisant des onomatopées. Des
« hop, vlan, bim, bam » éclataient au bout de ses phrases. Il a été très sympa dès le moment où il est venu me chercher dans la salle d'attente. Allez
« hop on y va, bureau... Sinon, ça va ? Ah, bim, celui est occupé, zou, on change »...
À peine étions-nous arrivés dans le bureau que je lui ai fait un aveu afin que les choses soient nettes et pour qu’on puisse travailler ensemble convenablement « Avant, il faut que je vous dise quelque chose….je suis millimétrique. Non mais c’est vrai »
*le truc inavouable, la grosse tare*__ Et moi, je suis un homme de défis, on va bien s’entendre.
Je me rends compte aujourd'hui que cet échange regorge d'un second sens plus croustillant
A partir de là, c’était cool. Je lui ai expliqué que je voulais exactement la même coquille. Tandis qu'il passait sa main entre mes hanches et la coquille ainsi qu’au niveau des cotes et sous les fesses, il faisait mine de se dire à lui-même
« oh, ici ça bouchonne » ce à quoi j'ai répondu
« ne dites jamais à une femme qu’elle est grosse » Il a dessiné la coquille alors que d’habitude c’est une fiche qui est utilisée il me semble. Son coup de crayon était
« joli », une élégance manifeste. Sous l’impulsion de l’intuition, je lui ai demandé s’il était artiste. Il m'a jaugé quelques secondes avec un sourire en coin ;
__ Avant d’être dans l’orthopédie, j'étais sculpteur sur bois. Désormais c’est un loisir.
__ Sculpter le bois ou un os, c’est presque pareil d’autant que je dis souvent que je suis un vieux bout de bois tordu
Je voulais donc la même chose mais lui voulait apporter des modifications. Arf. D'âpres négociations ont alors débuté. Pour l'élargissement j'étais d'accord pour 1cm. Lui 3cm... Non, à 3 je vais flotter dedans, donc 2cm. OK pour 2 !
En fait, il faisait exprès de viser large pour que j'aille de moi-même vers une donnée raisonnable tout en lâchant ma 1ère proposition. Malin.
Là où j'ai vraiment insisté c'étaient pour les inclinaisons du siège. Les modifier de quelques degrés auraient changé toute l'assise, les appuis de mon bras et empêché de conduire mon fauteuil électrique. Effet boule de neige. On y touche pas. OK, on ne touche rien aux inclinaisons.
__ Et l'angulation du siège ? Celle-ci n'est pas bonne du tout... Et vous savez ça vient d'où ?
__ Lorsqu'on avait refait cette coquille, un point d'appui était apparu au niveau de l'ischion gauche. L'orthoprothésiste avait ajouté un épais coussin sauf que cet élément avait complètement changé l'assise. Mais je n'avais plus mal.
Pour lui il fallait vraiment revoir l'angulation. Il m'a assurée que ces modifications ne troubleraient ni mes appuis ni mon assise
« ça prendra 6 mois ou 1 an s'il le faut, j'ai le temps, vous êtes sympa et c'est mon boulot... On va vous faire un truc bien, faîtes-moi confiance ».
Là c'est moi qui l'ai jaugé longuement. Je n'étais pas dupe, hein, je savais bien que ces modifs allaient changer. Mais je ne voulais pas lutter par fatigue mentale et parce que j'avais envie de lui faire confiance. Marché conclu.
__ Ah, et quelles couleurs ?
__ Intérieur noir et coque blanche.
__ Oh j'ai jamais eu ça...
__ Ah bon ? C'est pourtant classique et sobre.
__ Jamais eu, c'est marrant... Pas de couleur, vous êtes sure ?
__ Oui, je veux un truc discret.
Pendant qu’il passait ma coquille au scanner pour prendre ses mesures, j'ai reçu la visite surprise de la couturière qui travaillait chez mon 1er orthoprothésiste. Elle avait reconnu mon prénom/nom sur le planning. Je me souvenais aussi très bien d’elle.
Elle m’a racontée que je l’avais marquée à l'époque avec mon histoire de housse confort qui ne devait pas changer les appuis du malade et qui devait se retirer pour être nettoyée... Elle avait essayé mais sans succès. Aujourd’hui ce système existait, c'était ce système qui était répandu et j'allais en bénéficier.
__ Tu verras, pour le transfert, ça glisse tout seul. Ça n'a rien à voir.
L'orthoprothésiste est revenu. On a refait le point ; on était d'accord sur tous les points. Direction accueil pour la paperasse.
Des échantillons de motifs pour décorer sa coquille étaient posés sur le bureau. Tous plus acidulés les uns que les autres :
__ Vous avez des patients qui choisissent ces dessins ??
Quand il a compris mon intérêt esthétique pour la chose, il a essayé de m'en refourguer un bariolé d'
« I love fashion » rose fluo qui selon lui pouvait me correspondre. Regard de panda. Un truc discret, on a dit, pas envie de brûler des rétines.
__ Bon je vous téléphone dans 3 semaines pour programmer un 1er essayage... C'est bon pour vous ?
__ Oui, c'est parfait.
Il ne m'a rappelée qu'1 mois et 3 semaines plus tard. Au téléphone, il m'a expliquée qu’ils avaient eu des urgences d’où le retard. Je lui ai dit très spontanément
« oh, vous savez, je n'étais pas pressée non plus » Le 1er essayage s'est fait alors que Mercure était rétro. Juste parfait pour ce type de rendez-vous qui nécessite réflexion, qu’est-ce qui va/qu’est-ce qui ne va pas, réadaptation, et rebidouillages.
Ce qui m'intéressait notamment c’était de savoir si j’avais bien fait de laisser l’orthoprothésiste… comment dire,… donner libre court à son sens de la créativité sur quelques points
Quand ils m’ont mise dans la nouvelle coquille qui n'était encore qu'au stade d’ébauche, c’était surprenant.
En fait, à l’époque, dans l’ancienne, un épais coussin avait été ajouté car j’avais eu un mauvais appui au niveau de l’ischion gauche et cela avait cassé toute l’assise.
Cette fois-ci, le coussin n’avait pas été pris en compte comme un élément de la coquille lorsque l’orthoprothésiste l’avait passée au scanner. Il m’avait dit qu’il me mettrait un truc 100 fois plus fin mais 100 fois plus confortable et à mémoire de forme.
J’ai reconnu les formes de mon corps mais bien mieux que dans l’ancienne. C’était comme si je retrouvais mon corps. C’était plus large mais avec la nouvelle angulation et sans le coussin, j’ai eu le sentiment presque déstabilisant d’être enveloppée à l’intérieur de moi-même au lieu de flotter presque cassée dedans. Ce n'était en rien « exactement la même chose » demandée et c'était merveilleux.
Le ressenti était très « nouveau » alors :
« Hey, les gars,… je suis bien dedans,… c’est trop bizarre. Je suis bien ». L'orthoprothésiste qui était accroupi en face de moi me souriait.
Il a fallu redécouper par-ci par-là, revoir la têtière, reprendre le gabarit de la sangle, ajourer. Dans le fauteuil, c’est comme si j’avais reculé, que j’étais plus au fond et plus basse (coussin en moins). Il suffisait de reculer le joystick et de remonter les cales-pieds car les inclinaisons n’avaient pas bougé. Tout était très différent mais mieux.
Quand on a essayé ensuite avec l’ébauche de la housse confort, c’était incroyable. Je glissais dedans. Le transfert était considérablement facilité. L'orthoprothésiste tentait de juguler mon enthousiasme... Bien-sur il fallait voir ce que cela donnerait sur le quotidien, si des points d’appuis n’apparaissaient pas sur le long terme mais je ne me souvenais pas avoir été aussi à l’aise lors d’un 1er essayage. Joie.
Quand je suis repassée à l’ancienne, tout me sembler très raide et dur.
On s'est revu une semaine plus tard pour le 2ème et dernier essayage. Quand il me l'a amené, je n'ai pu réprimer
« Oooh, elle est trop belle ! » ce à quoi l'orthoprothésiste a ajouté « bah elle est blanche et noire...jamais eu ça, c'est spécial ». Le "I love fashion" rose fluo était spécial, pas ma coquille
Au niveau du confort, c'était incomparable avec l'ancienne. La sensation de retrouver mon corps me déstabilisait toujours autant. Je sentais que mes muscles étaient moins tendus.
Aussi, je respire par le diaphragme. Dans la nouvelle coquille, je respirais mieux car la sangle abdominale, même si elle arrivait toujours sur mon diaphragme, était élastique et plus épaisse alors que dans l’ancienne j’étais clairement comprimée. Je m'en suis rendue compte avec le changement.
Pour le fauteuil, à la conduite, étant moins serrée, la sangle élastique amortissait les chocs. Conséquence : je bougeais, suivais le mouvement, et mon bras se déplaçait pour ne pas dire se barrait complètement. J'ai appris à rouler moins vite sur les obstacles, à mieux les prendre
Je ne cessais de répéter à l’orthoprothésiste qu’elle était trop bien et trop belle
Dans ma fougue, je voulais lui laisser la vieille. Lui m’a conseillé de la garder des fois que, et au moindre problème (même tout petit) de lui téléphoner. Gratitude.
Dans la voiture, j’étais si détendue que j’ai failli m’endormir.
Collaboration réussie.