Salut les
cookies,
alors voilà... Après les sujets
« mon nouvel amour » et
« mon nouvel amant », je présente à mon tour
« mon nouveau fauteuil électrique ». Chacun chevauchant ce qu'il peut
Hey, c'est quoi ces moues dépitées que vous affichez ? Cachez votre enthousiasme... Comment ? C'est pas super excitant les trucs d'handis ?? Hmm, que je réfléchisse, mouais... Bah, je le raconte quand même. Allez, souriez, vous êtes fichus et bon courage. Tenez, pour la peine, il y aura sans doute une suite à ce post. Ce sera donc, et peut-être, un de vos feuilletons de l'automne.
Et toc! Partie I
~ Qui perd gagne ~
Comme programmé lors de mon dernier bilan médical, je me suis rendue à l'hôpital pour étudier l'acquisition d'un nouveau fauteuil roulant électrique avec une ergothérapeute, étant arrivée à un stade de ma maladie où un FRE standard
(Fauteuil Roulant Électrique) ne peut plus répondre à mes besoins.
Purée, je n'ai pas perdu ma journée.
Cafouillage à l'arrivée car le service ne m'attend en réalité que pour le lendemain. Ils avaient déplacé le rendez-vous sans me prévenir. Un petit coup de téléphone,
ouf!, l'ergothérapeute est disponible.
On patiente cinq minutes avant qu'elle ne fasse son entrée dans le bâtiment. Le sourire gêné qui traverse son visage lorsqu'elle m'aperçoit et la main qui mime des cheveux arrachés me laissent supposer qu'elle se souvient de moi. Je lui lance :
_ Bah alors ?? On a failli se louper...
Bonne entente lorsque l'on s'était vues durant mon bilan pour initier ce projet et convenir d'un rendez-vous. Alors, je me permets cette attitude détendue.
Elle se confond en excuses tout en glissant un peu d'autodérision rafraîchissant :
_ Je suis d'une nullité en secrétariat.
_ En même temps, c'est pas votre métier...
_ Et on ne peut pas être doué partout. Je suis ergothérapeute, une super ergothérapeute, appuie-t-elle avec fierté. Depuis, on a une secrétaire mais, là, c'est moi qui ai fauté. J'ai oublié de transmettre le courrier. N'importe quoi.
_ Je suis là, vous aussi. On peut travailler, c'est l'essentiel.
Je lui présente mon père qui m'accompagne ce jour-là. Il lui serre une poigne suivie d'un
« Grand Chef » pour se nommer qui amuse l'ergothérapeute et qui entraîne un
« ohlala, non, c'est pas possible, le vieux... Mais, le vieux, quoi » faussement exaspéré de sa fille.
J'aurais pu m'y rendre seule mais, on était sur des questions techniques, Grand Chef voulait être là. Il craignait que l'on me refourgue un tuk-tuk. Bah voyons, comme si je ne gérais pas mes dossiers, comme si je pouvais signer pour une guimbarde, d'autant que l'on se trouvait dans un service de pointe pour des équipements plus sophistiqués que ce que l'on trouve chez les revendeurs classiques, comme si je n'étais pas la fille de mon père... Je crois surtout que Grand Chef tenait à être présent. Gros dossier. Étape importante. Alors, soit, papa, mais t'es sage, d'accord ?
_ Du coup, je n'ai pas révisé votre dossier. Pas fait mes devoirs. Je viens en touriste. Forcément. Puisque vous étiez reprogrammé pour demain, héhé... Oh, et puis, il faut aussi que je prévienne votre médecin rééducateur. J'espère qu'elle est disponible. On peut travailler ensemble mais c'est toujours mieux quand on a son avis... Vous pouvez me rappeler quel est le problème, me questionne l'ergothérapeute tandis qu'elle nous emmène vers un petit bureau. Si petit que le terme
« box » serait plus approprié. À moins que « boite de sardine » ne soit plus juste ? Ou trou de souris ?
_ Le truc, c'est que j'ai beaucoup perdu à droite. La conduite est devenue difficile. Vraiment difficile. En gros, il me faudrait un joystick plus sensible, plus vif.
La porte d'entrée ne s'ouvre pas complètement car bloquée par une table de rééducation qui longe le mur de droite. Le coin gauche est meublé d'une table sur laquelle est posée un ordinateur portable.
En entrant dans la pièce, je me dirige directement sur la gauche. J'arrive donc en biais dans la boite de thon.
L'ergothérapeute m'invite à me mettre le long du mur de gauche face au bureau. Sauf que je n'y arrive pas. L'endroit est exigu, la manœuvre me réclame une habileté perdue depuis un an et demi.
_ Et non, je ne peux pas faire le créneau. Trop raide.
_ Ah oui... Donc déjà on voit bien le problème. C'est on ne peut plus clair, souffle-t-elle derrière moi.
Mon père propose de me passer en mode manuel afin de me placer correctement.
_ Sinon, je peux faire la manipulation directement avec la manette. À force, j'ai l'habitude avec tous ces fauteuils. Ça vous dérange pas ?
_ Non, allez-y...
L'ergo enjambe l'espace entre la roue arrière et la table de rééducation, saisit délicatement ma main
(le fauteuil est allumé, éviter les gestes brusques), la pose sur ma cuisse et réalise le créneau.
Puis, elle s'installe au bureau. Mon père, quant à lui, sur le bord de la table de rééduc. La salle est très mal insonorisée. Les bruits de l'extérieur nous parviennent tellement que je crois que la porte est ouverte.
_ Non, c'est bien fermé, vérifie mon père en tendant son bras.
_ On en a plein la tête quand on sort de là, enchaîna l'ergo, c'est vrai, c'est désagréable....
_ Fatiguant surtout, mais on va faire avec.
On discute longuement. Pendant plus de deux heures. Je lui explique que la perte musculaire à droite avait entraîné la mise en place de
« mauvaises » habitudes, et notamment des positionnements de ma main gauche qui venait aider le membre à droite. Je m'adaptais à la perte. Normal.
Tout a toujours consisté à chercher des réponses pour m'adapter. Souplesse d'esprit pour contrer les paralysies du corps, les dépasser, même si certains décrochages c'étaient fait à corps défendant, à contrecœur.
Je m'étais mise à pousser ma main droite de la gauche pour tourner à droite, la tirer pour aller à gauche. J'avais donc le bras gauche toujours en tension et posé sur mes cuisses.
Devant ce constat, je suggère à l'ergothérapeute que passer la manette à gauche serait sans doute une option pertinente. Avec un doute... En effet, est-ce que mon bras gauche, après avoir été déporté à droite si longtemps, retrouverait un positionnement à gauche ? Ne l'avais-je pas usé ? Est-ce que j'aurais suffisamment d'amplitude pour un emplacement
« normal » (si tant est que ce terme puisse m'être accolé), du moins plus cohérent avec l'ensemble pour la conduite ?
_ À l'origine, vous êtes droitière ?
_ Oui, mais on a déjà testé la conduite à gauche.
Je revenais sur les années collège où ma kinésithérapeute avait testé de me mettre la commande à gauche. Comme j'avais tendance à pencher sur la droite à cause de ma scoliose, bien que maintenue par le corset siège moulé
(ou "coquille" plus communément), ma kiné pensait que, si elle inversait la conduite, cela forcerait un rééquilibrage. Sauf que c'était vain. Mon équilibre était d'être tordue.
_ Oui, je crois aussi que la commande à gauche, c'est l'idée à retenir. Surtout que vous l'avez fait sans difficulté quand vous étiez enfant.
L'ergothérapeute se penche, attrape mon bras gauche, le mobilise largement pour en évaluer les possibilités. Puis, elle en soutient le poignet par en dessous de façon à simuler une conduite à gauche :
_ Montrez-moi, bougez votre main.
Je m’exécute avec un léger balayage gauche/droite, avant/arrière, le poing fermé.
_ Pas mal... Vous êtes bien dans votre corset siège moulé ? Il ne faudrait que l'on commence par le fauteuil si la coquille est inadaptée... Pas d'escarres, rien, niveau ischions ?
_ Non, aucune douleur. Pas de mauvais appuis. Soyez rassurée, je fais les choses dans l'ordre. Je ne serais pas venue ici si j'avais su que ma coquille était à refaire.
_ Je préfère demander car on a déjà eu des surprises et parce que je trouve que vous êtes quand même vachement déportée vers l'avant...
_ Flexum de hanches... On a essayé maintes fois de modifier l'angulation de la coquille afin que je sois moins en avant. Rien n'y a jamais fait. Je penche à droite et en avant. C'est mon équilibre naturel.
_ Je crois aussi... En fait, votre dos doit être en tension par rapport à votre bassin. Du coup, vous vous créez d'autres repères dans une stature qui vous appartient.
On continue de réfléchir, de discuter pendant qu'elle remplit le dossier médical et le cahier des charges pour le futur revendeur. Elle m'explique qu'il existe des FRE avec une assise inclinable. Ce qui pourrait me permettre plus de confort, de me reposer en arrière sur ma coquille.
_ Sauf que si on me modifiait l'assise, tous mes repères et points d'appuis seraient bouleversés. Pour la conduite, si je suis plus en arrière, je devrais fournir plus d'efforts pour actionner le joystick puisque le bras serait ramené vers l'arrière. Il suivrait le mouvement. Je serais en lutte.
_ D'accord, d'accord, je comprends...
Mon père rétorque
« c'est mademoiselle millimètres », ce qui nous fait tous sourire. D'aussi loin que je me souvienne, Grand Chef m'a toujours comparée à un niveau à eau. La fascination qui fut la mienne lorsqu'il me présenta l'objet alors que je n'étais qu'une mouflette.
_ Il veut dire que je suis chiante...
_ Vous vous connaissez bien et vous êtes précise, c'est important. Et pour nous, et pour vous. Mais, dites-moi, au repos, ça pourrait être intéressant d'y réfléchir à cette assise inclinable. Pour vous détendre, vous mettre au repos de temps en temps.
_ Oui, dans ce cas, pourquoi pas ?
_ Parce qu'il faut qu'on la joue fine... Vous le savez, le renouvellement d'un FRE, c'est tous les 5 ans...
_ Oui, pour que la Sécu valide le dossier.
_ Et là, on est sur une pathologie évolutive. Il faut donc que l'on garde en tête que votre état général ne sera pas le même dans 5 ans, ni même dans 2 ou 3 ans, que l'actuel.
J'ai pouffé
« j'y pense pas tous les 4 matins, loin de là, mais difficile d'oublier ». Là, c'est Grand Chef et l'ergo qui sont faussement exaspérés.
_ Et donc, reprend l'ergothérapeute, si on peut ajouter de la technologie à votre futur fauteuil, le max de techniques pour vous soulager au fur et à mesure, et on est trèèèès loin d'être sur des demandes superflues, je crois que c'est à envisager dans la sérénité.
_ Pour moi, l'urgence, c'est la manette. Après, ce que vous proposez, oui, pourquoi pas, c'est à tester.
_ La manette, certain, je vais bien spécifier dans le cahier des charges qu'il vous faut un modèle qui évoluera avec vous. Si vous perdez à gauche, il suffira que le revendeur bidouille le joystick de façon à ce qu'il réponde à vos besoins.
_ Intéressant, ça... Je ne savais pas. Et jusqu'où on pourra aller en terme d'adaptation ?
_ Et bien, avec ce genre de manette, jusqu'à la phase où le fauteuil pourra être dirigé avec un seul doigt.
_ Ok, ok.
_ Pour le revendeur, ce sera à vous d'en choisir un sur cette liste. Par éthique, je ne peux vous en conseiller un. Par contre, il n'y en a aucun près de chez vous. Ce qui est embêtant, tututute...
_ Je me déplacerai.
_ Un peu dommage pour les essais et l'après-vente en terme de réactivité... Mais déjà, avec tout ce que l'on s'est dit, j'ai une première idée de fauteuil. Suivez-moi à la réserve.
Évidement, je ne réussis pas à manœuvrer mon fauteuil pour le sortir de cette boite de thon. C'est l'ergothérapeute qui le fait.
_ Voilà un fauteuil qui, je pense, pourrait vous convenir.
_ Déjà, il est beau, et pas trop imposant. On dirait qu'il est plus compact que le mien... J'aime bien.
_ Il est pas mal, acquiesce Grand Chef qui vérifie déjà la structure technique de l'animal, batteries, branchement, palettes et dossier.
_ Grand Chef, ô grand patron, puisque vous nous faites l'honneur d'être là, je vous laisse faire pour le transfert ? Besoin d'aide ?
Tout sourire, tout fier, Grand Chef saisit le socle de ma coquille et me transfère vers le second fauteuil.
_ Alors, comme ça, vous en pensez quoi ?, me demande l'ergothérapeute
_ Bien. À la simple assise, bien. En même temps, avec la coquille... La manette est un peu trop loin. Papa, est-ce que tu peux mobiliser mon bras, s'il te plaît, pour le détendre un peu ?
Mon père plie et déplie mon bras gauche plusieurs fois, mobilise l'épaule dans des mouvements rotatifs, et assouplit les doigts de ma main.
_ Hmm, la manette reste éloignée.
_ Ok, alors, alors cette histoire de manette, réfléchit l'ergothérapeute à genoux par terre après avoir retiré l'accoudoir pour le régler. Elle en cherche l'articulation pour le moduler, s'y affaire munie de quelques clés Allen, expérimente plusieurs combinaisons et soupire :
_ Je crois que c'est pas possible... Y'a ça qui coince pour arriver là.
Mon père se penche légèrement dessus, observe longuement et suggère
« c'est ça qu'il faut dévisser », ajoute ensuite un malicieux
« sinon, un coup de perceuse » avant d'aller chercher lui-même sur le petit établi la bonne clé.
_ HaaaHaa, les papas bricoleurs, rit l'ergothérapeute. On en a quelques-uns des comme ça.
_ Rigolez pas trop, il pourrait vraiment ramener une perceuse... Hey, pas la perceuse, papa, le hélé-je avec plaisanterie. C'est-pas-en-co-re-mon-fauteuil, c'est celui de l'hôpital.
Manette bidouillée, réglée et, surtout, surtout manette qui se rabat vers l'intérieur... Ce qui ne m'oblige pas à déporter mon bras trop vers l'extérieur. La manette posée sur ma cuisse gauche, ma position est presque naturelle. J'étais parée pour l'essayage.
Infime à-coup du poignet pour évaluer le truc.
_ Woo, l'animal est vif. Héhé.
_ Haa... ?
Je fais demi-tour. Un relâchement dans ma tête qui s'écoule le long de mon corps. J'ai fait demi-tour avec une souplesse qui me surprend autant qu'elle ne m'émeut. J'ai le souffle court, le cœur qui bat à tout rompre, de petites étincelles qui courent sous ma peau. Mais je reste centrée sur les mouvements de ma main, du fauteuil. Mes mouvements. Avancer ne me réclame plus d'effort. Fluidité et légèreté. Il est bien... Purée, ce fauteuil est plus que bien...
_ Il est trop bien, prononcé dans un murmure, comme un secret que l'on confierait. Comme une promesse que l'on se ferait, l'on recevrait. Une promesse insensée de par la véracité de l'espérance qu'elle recèlerait. Comme une révélation à soi-même.
_ Bien, bien, biiien, on retourne dans le bureau. Ah ben, tiens, ce sera le vrai test du jour.
Une autre ergothérapeute fait des essais avec son patient dans le couloir. Je me faufile entre eux et le mur sans écraser les pieds de qui que ce soit. Mon ergo, qui me précède, jette des regards pour observer ma conduite. Je passe la porte tranquillement et réalise le créneau. Et...
LA JOIE.
La profonde joie qui jaillit de mon être, ça part des tripes, et le traverse de partout. Tout mon être en émois. Le délivre tant elle est éclatante. Ça vibre, ça fait chabada au dedans.
_ Ah, génial, le grand sourire qui veut tout dire, hohhhh, et les étoiles dans les yeux, s'exclame l'ergothérapeute. Premier test concluant, n'est-ce pas ?
_ Mais complètement ! Rien que comme ça, je suis prête à signer.
_ Je vous règle les palettes, j'ajoute quelques notes à votre dossier et on va faire un petit tour dehors pour vous mettre en situation sur un parcours spécial.
Pavés, marche arrière, dos d'âne, trottoir, pavés, c'est cacahuète. Rien ne me résiste. Pas parfait, des petits aménagements demeurent nécessaires, mais rien à voir avec l'autre fauteuil.
Seules les montées prolongées restent compliquées car mon bras est entraîné en arrière. Selon l'ergo, une petite butée pourrait être confectionnée de façon à empêcher le recul du bras ou même son déplacement sur l'accoudoir.
Mon père qui était resté devant le bâtiment, me demande un
« Alors, c'est bien ? » mêlé d'empressement et d'inquiétude.
_ Trop bien, papa !!!
On est rentrés dans le bâtiment pour conclure le dossier. Le médecin est finalement passée.
C'est elle qui s'occupe du versant physique et réadaptation. Petit accent de l'Europe de l'est qui me donne toujours l'impression qu'elle tresse des fleurs en couronnes sur les rétractions tendineuses, luxations et autres difformités. On lui fait un résumé de la discussion pendant qu'elle ausculte mes articulations.
L'ergo me présente sur une page internet un second fauteuil à essayer chez le revendeur. Il est plus imposant et possède 6 roues. Moins beau. Au feeling, il me moyen-bof. Clairement. La particularité de ce fauteuil réside dans ses six roues :
_ En terme de conduite, c'est vraiment particulier...
_ Ah ouais ?
_ Ouais, par exemple, lorsque vous faîtes un demi-tour avec un quatre roues classique, vous appuyez vers l'avant, puis vous effectuer la rotation et le fauteuil suit vos gestes, illustre-t-elle avec son téléphone. Tandis que celui, pour le demi-tour, il va tourner sur lui-même, comme ça. Dans les courbes, on a l'impression de danser une valse. C'est particulier.
_ Un coup de main à prendre, une question d'habitude sans doute...
_ Exactement. Je pense que ce serait bien de l'essayer aussi pour sa fluidité. La manette évolutive et l'option de l'assise inclinable sont aussi disponibles sur ce modèle. Je vais l'ajouter dans le compte-rendu afin que le revendeur vous fasse aussi tester ce modèle.
La question du choix du revendeur se repose. L'ergothérapeute vérifie sur son fichier quel est le plus proche de chez moi. Or, ils sont tous éloignés.
_ Je me déplacerai. J'irai en taxi. C'est pas un problème.
_ Oui, au pire, mais pour les essayages, la réactivité en cas de souci et le service après-vente, ce serait quand même mieux qu'il ne soit pas trop loin...
Les plaintes d'un patient lourdement handicapé nous parvienne. Ce doit être celui que j'ai croisé dans l'entrée un peu après mon arrivée. Il refusait de suivre sa mère. Il refusait d'avancer avec son nouveau fauteuil par delà l'entrée. Chaque mètre étaient franchis sous d'insistants encouragements. Mon père avait été troublé, visiblement touché.
_ Vous êtes un rebelle, vous, avais-je dit à cet homme avec un clin d’œil bienveillant.
_ Il ne vous entend pas, il est sourd. Il est dans un mauvais jour. Heureusement que j'ai fait des vidéos des essayages pour leur montrer, me confia sa mère en agitant son smartphone.
Son fils avait l'air ailleurs et fatigué. Il conduisait son fauteuil via un ingénieux système de câble installé sur le joystick qui venait rejoindre son bras totalement replié vers l'épaule. Ses deux membres supérieurs l'étaient.
Qu'il m'ait entendu ou non, quelle importance ? Je communiquais, j'interagissais comme je l'aurais fait avec n'importe qui lorsque j'en ressentais l'appel. Je le considérais. Simplement. D'instinct, je m'étais déplacée sur le côté de façon à lui laisser un passage si d'aventures il se décidait à avancer. Ce qu'il a finalement fait. Il a même tracé jusqu'à la réserve du fond.
Ce râle. Sa voix porte, la plainte est longue. Le médecin rééducateur commente du bout des lèvres, avec son accent de l'Europe de l'est qui parsème des fleurs
« On dirait les cris d'un petit éléphant ».
On l'observe. Silence. Long temps. Encore cette dense lamentation qui emplit les lieux.
« C'est sa façon de s'exprimer, à nous de déchiffrer son langage, de le comprendre », continue-t-elle.
Si j'avais sorti cette histoire d'éléphanteau avec ma voix aux vibrations de blague carambars, j'aurais fini en taule. Avec la doc, c'est poétique, c'est ravissant. Un enchantement.
Et d'un coup, d'un seul, l'ergothérapeute s'exclame :
_ Mais si, je connais un revendeur qui s'est installé il y a à peine un an vers chez vous !
_ Ah oui ?
_ Oui, et quelle veinarde vous êtes, ajoute-t-elle des étoiles catapultées dans les yeux.
_ C'est ce que je dis souvent...
_ Oh, quelle veinarde ! Cet homme, vous allez voir, c'est un amouuur inconditionnel. Quelqu'un de bien, sérieux, parfait pour votre dossier qui vous accompagnera dans chaque étape et ne vous laissera pas tomber en cas de pépin. Professionnel et humain. Quelle veinarde de faire équipe avec lui...
_ À ce point ?? Et votre éthique, du coup, hmm ?
« Je ne conseille aucun revendeur tout-ça-tout-ça », repris-je avec un rictus espiègle.
_ À ce point, non, car les mots ne suffissent pas. Lui, je vous le conseille les yeux fermés. Vous pouvez y aller sans inquiétude, c'est certain. Je vous note ses coordonnées sur le compte-rendu et le cahier des charges. Je vous envoie le courrier et, dès que vous le recevez, contactez-le. Vous allez collaborer avec lui, quelle chanceuse ! Je vais l'appeler pour vérifier que c'est possible.
_ Faîtes-vous plaisir... Euh, faîtes votre travail, en m'esclaffant.
Je ressors de là complètement épuisée, la tête en chou-fleur, mais rassérénée. Je suis heureuse, comblée d'émotions belles et puissantes. Ça va l'faire.
En rejoignant mon taxi qui m'attend à quelques mètres de là, je prends une respiration profonde et consciente. J'ai besoin d'air, de profiter de ce nouveau souffle porteur. Besoin d'écouter le vent et d'y glisser un remerciement aux étoiles, à l'Univers, la vie.
Quel joli jour...
À suivre.