Je la pris près de la rivière Car je la croyais sans mari Tandis qu’elle était adultère Ce fut la Saint-Jacques la nuit Par rendez-vous et compromis Quand s’éteignirent les lumières Et s’allumèrent les cri-cri
Au coin des dernières enceintes Je touchai ses seins endormis Sa poitrine pour moi s’ouvrit Comme des branches de jacinthes Et dans mes oreilles l’empois De ses jupes amidonnées Crissait comme soie arrachée Par douze couteaux à la fois Les cimes d’arbres sans lumière Grandissaient au bord du chemin Et tout un horizon de chiens Aboyait loin de la rivière
Quand nous avons franchi les ronces Les épines et les ajoncs Sous elle son chignon s’enfonce Et fait un trou dans le limon Quand ma cravate fût ôtée Elle retira son jupon Puis quand j’ôtai mon ceinturon Quatre corsages d’affilée Ni le nard ni les escargots N’eurent jamais la peau si fine Ni sous la lune les cristaux N’ont de lueur plus cristalline Ses cuisses s’enfuyaient sous moi Comme des truites effrayées L’une moitié toute embrasée L’autre moitié pleine de froid
Cette nuit me vit galoper De ma plus belle chevauchée Sur une pouliche nacrée Sans bride et sans étriers Je suis homme et ne peux redire Les choses qu’elle me disait Le clair entendement m’inspire De me montrer fort circonspect Sale de baisers et de sable Du bord de l’eau je la sortis Les iris balançaient leur sabre Contre les brises de la nuit Pour agir en pleine droiture Comme fait un loyal gitan Je lui fis don en la quittant D’un beau grand panier à couture Mais sans vouloir en être épris Parce qu’elle était adultère Et se prétendait sans mari Quand nous allions vers la rivière
Fédérico Garcia Lorca
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Sujet: Re: poésie du soir Ven 11 Mar - 19:54
Verveine,
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ALLONS DANS LE SOIR
Le soir ranime un peu le parfum de ces fleurs. Si vous le voulez bien, admirons-les ensemble.
Mon cœur est affranchi de ses vieilles douleurs Et ma sérénité ne veille ni ne tremble.
Il est tant de beauté sur la terre. Voyez, Elle est belle, comme en sa naissance première.
Voici que, sous nos pas, des astres dévoyés Jettent, superbement, leurs éclats de lumière.
Voici descendre enfin sur nous la belle nuit Si douce à qui se meurt, à qui se désespère,
Où notre âme, fluide ainsi qu’une eau, s’enfuit Sans ancres et sans mâts, et sans points de repère.
Pour ceux qui sont lassés de l’azur et du jour, Le soir est un asile, un sanctuaire, un temple.
… Pourquoi me parlez-vous d’amour, toujours d’amour ? Je suis tranquille et suis assise, et je contemple.
Renée Vivien
Maldoror
Sujet: Re: poésie du soir Ven 11 Mar - 20:04
Superbe. J'avais zappé Garcia Lorca et m'en repentis.
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Sujet: Re: poésie du soir Ven 11 Mar - 21:10
Au peuple Il te ressemble ; il est terrible et pacifique. Il est sous l’infini le niveau magnifique ; Il a le mouvement, il a l’immensité. Apaisé d’un rayon et d’un souffle agité, Tantôt c’est l’harmonie et tantôt le cri rauque. Les monstres sont à l’aise en sa profondeur glauque ; La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus D’où ceux qui l’ont bravé ne sont pas revenus ; Sur son énormité le colosse chavire ; Comme toi le despote il brise le navire ; Le fanal est sur lui comme l’esprit sur toi ; Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ; Sa vague, où l’on entend comme des chocs d’armures, Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures, Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain, Ayant rugi ce soir, dévorera demain. Son onde est une lame aussi bien que le glaive ; Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève ; Sa rondeur formidable, azur universel, Accepte en son miroir tous les astres du ciel ; Il a la force rude et la grâce superbe ; Il déracine un roc, il épargne un brin d’herbe ; Il jette comme toi l’écume aux fiers sommets, Ô peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais Quand, l’oeil fixe, et debout sur sa grève sacrée, Et pensif, on attend l’heure de sa marée.
Victor Hugo
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Sujet: Re: poésie du soir Dim 13 Mar - 20:47
LE BANC
Lorsque je vais m'asseoir à mon banc favori, Qu'il est tard, qu'il fait doux, que selon l'habitude Mon petit chien me garde avec sollicitude, Tous les songes aimés dont mon cœur s'est nourri Reviennent à la fois peupler ma solitude.
C'est comme un bruit lointain de rires et de chants Qui vibre encor dans ma mémoire trop fidèle ; C'est comme un vol d'oiseaux, traversant d'un coup d'aile Les plaines, les cités, les lacs, les monts, les champs, Et gazouillant : « Allons nous reposer près d'elle ! ».
Ainsi fait le vieillard, l'hiver, au coin du feu, Quand il écoute en lui son passé ; quand, morose Il se souvient qu'il fut un enfant blond et rose. Pour moi, le printemps a des fleurs, le ciel est bleu, L'heure charmante, et c'est pourtant la même chose.
Louisa Siefert
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Sujet: Re: poésie du soir Dim 13 Mar - 21:32
merci
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Sujet: Re: poésie du soir Lun 14 Mar - 19:12
J’ai cessé, tu le sais, de croire à bien des choses Et je m’en suis souvent allé, désabusé. J’ai vu le vent du nord éparpiller les roses Et j’ai tant prodigué mon courage qu’usé, Désillusionné, las, mon cœur a peine à battre. Plein d’enthousiasme on part, soulevé par l’espoir, Mais en cours de chemin force est bien d’en rabattre, Le temps vole et bientôt de la brise du soir Le souffle vous surprend. Au terme du voyage, Il n’est pour vous d’accueil, de repos, de pitié : Rien que le souvenir d’un décevant mirage ! Cependant, malgré tout, je crois à l’amitié. Mais pour moi l’amitié n’est pas une parole, Un mot creux qu’on profère à la légère, puis Que balaie un beau jour un passe-temps frivole. Pour moi telle qu’hier et telle qu’aujourd’hui Elle sera demain : puissante, indestructible, Narguant les traits du sort et les coups du destin, D’un métal sans fêlure, imbrisable, infusible. Autre je ne la veux. Comme elle est au matin, J’entends la retrouver quand le soleil se couche. Être amis, c’est pour moi se donner tout entier, D’un don tout à la fois ardent, tendre et farouche ; Du plus secret de soi ne se rien réserver, L’un en l’autre nourrir une confiance telle Que tout devient commun : plaisirs comme douleurs. Plus de l’adversité la morsure est cruelle, Plus brûlante la plaie et amères les pleurs, Plus tenace est l’ami, plus sensible son aide. Faux amis que l’absence ébranle ou rend moins sûrs, Que la séparation éloigne ou fait plus tièdes, Du langage vous souillez le mot le plus pur. E. Armand, En captivité, mars 1940
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Sujet: Re: poésie du soir Mar 15 Mar - 20:00
C'est beau, je ne connaissais pas. Merci Verveine. J'en mets deux ce soir, pour la peine.
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Je crois que j’ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m’était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai pensé à maman. Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s’éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore.
Albert Camus - L'étranger
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Il est nuit : trois femmes sont là ; L'une d'elles tristement rêve ; L'autre chante, et sa chanson va Se mêler au vent qui s'élève. La troisième, aux noirs et longs yeux, Interroge les flots qui grondent. Des chœurs d'infini se répondent : Ce sont de grands bruits sous les cieux !
Vents des mers sur les flots pleins d'ombre, Retentissez dans la nuit sombre !
Quel rêve peut se mesurer L'infini qui remplit nos âmes ? Quelle douleur peut se pleurer Devant ce brisement des lames ? Le cœur, autre abîme profond, Autre solitude sans bornes, Aime ces grandes rumeurs mornes Et va plus loin qu'elles ne vont.
Vents des mers sur les flots pleins d'ombre, Retentissez dans la nuit sombre !
Chants dits tous bas, vagues et doux, Brises à l'ouragan mêlées, Bercez-nous l'âme, bercez-nous Au bord des vagues crénelées. Notes d'amour et de bonheur Que murmure une voix légère, Vous nous révélez l'étrangère Ame ouverte comme une fleur.
Vents des mers sur les flots pleins d'ombre, Retentissez dans la nuit sombre !
Vous qui rêvez et qui souffrez, Vous qui vous souvenez peut-être, Et vous, enfant, qui célébrez Votre bonheur encore à naître, Vous qui méditez loin de tous, Loin de vous-même, âme rebelle, Oh ! n'est-ce pas ? la mer est belle Avec ses bruits roulant vers nous ?
Vents des mers sur les flots pleins d'ombre, Retentissez dans la nuit sombre !
Augustine-Malvina Blanchecotte - Les militantes
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Sujet: Re: poésie du soir Mar 15 Mar - 20:22
j'aime, merci danaé
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Sujet: Re: poésie du soir Dim 20 Mar - 19:58
Poème un peu subversif
Nos Christs au féminin 1-Femmes aux tatouages sur l’âme un dragon et une étoile Clytemnestre, Electre, Virginia Woolf 2- Femmes avec des cicatrices depuis la naissance qu’elles vomissent sur la gueule de ceux qui les ont gravées 3- Femmes suspendues à des crocs crachant sur ceux qui les chevauchent 4- Femmes étiquetées éliminant le chiffre sur leur bras en s’arrachant la peau 5- Femme en garde à vue dans la salle d’opération chirurgicale à la cuisine enchaînée par des menottes, des pansements ou des couronnes de mariées 6- Femmes à la tête dans le four à gaz échappant de l’asphyxie du confort et de l’éphémère 7- Femmes aux ailes brisées refusant pilules et anesthésie revendiquant leur propre ciel 8- Femme amazone se coupant le sein pour lutter contre les stéréotypes 9- Femmes n’hésitant pas à marcher sur les vagues contre le vent et la pesanteur des normes 10- Femme glissant comme une anguille du filet social de la luxure de l’obéissance et des conventions 11- Femmes s’immolant dans le brasier de l’histoire et d’autres carbonisées au feu d’Eros 12- Femmes recevant par un sanglot le sperme de la peur et accouchant l’extase et l’amour 13- Vieilles femmes sur les dents desquelles coule toute la beauté du monde 14- Femmes qui gardent leurs cuisses serrées mordant leur courroux pour ne pas donner naissance aux soldats de demain 15- Médée transformant sa matrice en rose rouge de passion 16- Femmes entrant en révolution redressant leurs vertèbres telles des colonnes du Parthénon Tassos Kourakis
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Sujet: Re: poésie du soir Dim 3 Avr - 21:24
Extraits : L’outrage aux mots, Bernard Noel
La censure bâillonne. Elle réduit au silence. Mais elle ne violente pas la langue. Seul l’abus de langage la violente en la dénaturant. Le pouvoir bourgeois fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage. Sa tolérance est le masque d’une violence autrement oppressive et efficace. L’abus de langage a un double effet : il sauve l’apparence, et même en renforce le paraître, et il déplace si bien le lieu de la censure qu’on ne l’aperçoit plus. Autrement dit, par l’abus de langage, le pouvoir bourgeois se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un pouvoir non contraignant, un pouvoir « humain », et son discours officiel, qui étalonne la valeur des mots, les vide en fait de sens - d’où une inflation verbale, qui ruine la communication à l’intérieur de la collectivité, et par la même la censure. Peut-être, pour exprimer ce second effet, faudrait-il créer le mot SENSURE, qui par rapport à l’autre indiquerait la privation de sens et non la privation de parole. La privation de sens est la forme la plus subtile du lavage de cerveau, car elle s’opère à l’insu de sa victime. Et le culte de l’information raffine encore cette privation en ayant l’air de nous gaver de savoir. Ce processus fait partie de la paupérisation elle aussi très subtile puisqu’elle consiste à donner une aisance qu’elle supprime en créant sans cesse des besoins qui maintiennent l’aliénation,mais en lui ôtant son caractère douloureux.
glacette
Sujet: Re: poésie du soir Mer 6 Avr - 10:28
Merci et grâce à vous s'ouvre le champ...ou le "chant" des possibles
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Sujet: Re: poésie du soir Mer 6 Avr - 18:16
merci glacette
glacette
Sujet: Re: poésie du soir Ven 8 Avr - 21:41
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Sujet: Re: poésie du soir Lun 29 Aoû - 20:04
"Ils contemplaient le grand désastre sans comprendre
D'où venait le fléau ni d'où venait le vent
Et c'est en vain qu'ils interrogeaient les savants
Qui prenaient après coup des mines de Cassandre
Avons-nous attiré la foudre par nos rires
Et le pain renversé qui fait pleurer les anges
N'avons-nous pas cloué la chouette à nos granges
Le crapaud qui chantait je l'ai mis à mourir
Aurais-tu profané l'eau qui descend des neiges
En menant les chevaux boire à la mare bleue
En août lorsque ce sont des étoiles qu'il pleut
Qui de vous formula des souhaits sacrilèges
La malédiction des échelles franchies
Devra-t-elle toujours peser sur nos épaules
Nos vignes nos enfants nos rêves nos troupeaux
La colère du ciel peut-elle être fléchie
Ils regardent la nue ainsi que des sauvages
Et s'étonnent de voir voler chose insensée
Sous l'aile des oiseaux leurs couleurs offensées
Sans savoir déchiffrer l'énigme ou le présage
Nostradamus Cagliostro le Grand Albert
Sont leur refuge d'ombre et leur abêtissoir
Ils vont leur demander remède pour surseoir
Au malheur étoilé des miroirs qui tombèrent
Leur sang ressemble au vin des mauvaises années
Ils prétendent avoir mangé trop de mensonges
Ils ont l'air d'avoir égaré la clef des songes
Le téléphone échappe à leurs mains consternées
A leurs poignets ils ne liront plus jamais l'heure
Reniant le monde moderne et les machines
Eux qui croyaient avoir la muraille de Chine
Entre la grande peste et leurs bateaux de fleurs
Quelle conjugaison des astres aux naissances
Expliquerait leur nudité leur dénuement
Et ces chemins déserts de Belle au Bois dormant
Sous la dérision des pompes à essence
Dans le trouble sacré qu'enfantent leurs remords
Tout ce qu'ils ont appris leur paraît misérable
ils doutent du soleil quand le sort les accable
Ils doutent de l'amour pour avoir vu la mort »
Louis Aragon intitulé "Ombres"
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Sujet: Re: poésie du soir Lun 29 Aoû - 20:45
Quel est celui qui est allé le plus loin ? Car je voudrais aller plus loin, Et quel est celui qui a été le plus juste ? Car je voudrais être l’homme le plus juste de la terre, Et quel est celui qui a été le plus prudent ? Car je voudrais être le plus prudent, Et quel est celui qui a été le plus heureux ? Ô je crois que c’est moi — je crois que personne n’a jamais été plus heureux que moi, Et quel est celui qui a tout prodigué ? Car je prodigue sans cesse ce que j’ai de plus précieux, Et lequel, le plus fier ? Car je crois que j’ai lieu d’être le plus fier fils vivant — car je suis le fils d’une cité où les muscles sont fermes et où les maisons dardent leurs faîtes altiers, Et lequel, hardi et loyal ? Car je voudrais être le plus vivant le plus hardi et le plus loyal de l’univers, Et lequel, bienveillant ? Car je voudrais montrer plus de bienveillance que tous les autres, Et quel est celui qui a éprouvé l’affection du plus grand nombre d’amis ? Car je sais ce que c’est que d’éprouver l’affection passionnée d’amis nombreux, Et quel est celui qui possède un corps parfait et énamouré ? Car je ne crois pas que quelqu’un possède un corps plus parfait et plus énamouré que le mien, Et quel est celui qui pense les plus vastes pensées ? Car je voudrais embrasser ces pensées, Et quel est celui qui a fait des hymnes à la mesure de la terre ? Car un désir fou me possède jusqu’à l’extase dévorante de faire des hymnes de joie pour la terre entière.
Excelsior – Walt Whitman
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Sujet: Re: poésie du soir
poésie du soir
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