Sujet: Textes poétiques et autres écrits Dim 14 Mar 2021 - 11:52
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Dim 5 Mar 2023 - 12:39
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Il était beau ce petit jour
Maldo, Il est beau ce petit poème, un autre côté de maldo.
Célestine
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Dim 5 Mar 2023 - 14:13
Nous avons des poètes très inspirés par Côté fleur bleue Maldo à tes heures ????
Maldoror
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mer 8 Mar 2023 - 5:18
Entre Baudelaire et Lautréamont (impromptu)
Ô mort vieux capitaine, il est temps levons l'encre.
Entre les ressors de ton vieux canapé où suintent tous les sarcoptes de la gale, les punaises de lit, les acariens rieurs de tes jaunisses acerbes et même le poing vengeur scrofuleux, adventice, pareil à un rapace qui déchirerait les ondes, en lacérant deux yeux au passage des trains.
Et le reste à l'humain.
J'ai noirci les ravages d'une belle épopée où même la bicyclette ployait comme un noyer. Sous les vents décharnés et la lumière frivole, nous chantions des complaintes à attrister les poulpes.
Vieil océan maudit, tu saccages mon coeur, dans tes ressacs immondes, tout nourri de bulots , de choucroutes flageolantes qui ploient là sous la mer où paissent des méduses. Vertes, régurgitées par nos âmes urticantes. Tu ballades les oursins, les pousse-pieds de fortune contre ces rochers glauques mal filtrés par la lune. Tu te gaves de nos fiels, de nos spermes déficients, nos visions lacrimales, nous, avortons d'étoiles.
Tu nous rends à la mère, au large amniotique, l'odeur du placenta, quand, nous, pauvres embryons, escomptions être phoetus. Tu nous ramènes au foutre, à la queue de nos pères qui se levaient pour rien sous le soleil couchant. Ni le cri du chacal, le ris de la mouette ne mérite une ligne. Pourquoi cet animal, si insigne, volubile, devrait passer le temps?
Vieil océan maudit, dans un dernier ressac, arrache nos sacs d'Hermès, la panoplie Zara, nos fécondes faiblesses d'humain dégénéré, lacère nos illusions de tigres de papier, tous nos égos si lourds comme un canal plombé où des méduses oblongues nous font la charité.
Ramène nous au néant.
cheliel
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 10 Mar 2023 - 16:57
Pour Ladom
Le rêve de l’eau
C’est l’appel Au rêve de l’eau
Les océans les mers et les puits Les fleuves les rivières et la pluie Redessinent la Terre jour et nuit
Dans chaque goutte d’eau La vie change de peau Se dissémine à longueur de flot
Dans l’envers ou l’endroit Jusqu’où on ne sait pas Des abîmes aux cieux et au-delà
Dans les lacs les étangs et les nappes Les cours les torrents de nos mappes Tels les réseaux d’un cœur qui tape
Refrain : C’est l’appel Au rêve de l’eau Sans laquelle tout crève Sans laquelle s’achève Le beau
Les fourmis les souris les oiseaux Les bactéries les végétaux Sont tous soumis au besoin d’eau
Dans chaque mouvement La vie se répand D’un corps à l’autre à longueur de temps
Des déserts aux abysses Des forêts qui tapissent La Terre et ses secrets qui nous tissent
En partitions de l’évolution L’aventure se poursuit se fond En myriades de liens en chaînons
Refrain
Toutes goutte après goutte Il ne fait aucun doute Que l’eau nous goûte En clé de voûte D’une vie qui envoûte
Si elle est polluée Son cycle déréglé L’eau qui nous fait Peut bien nous noyer
Les océans les mers et les puits Les fleuves les rivières et la pluie Redessinent la Terre jour et nuit
Refrain
C’est l’appel Rappel de l’eau Dont nous sommes le rêve Une simple relève En gros
Maldoror
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Sam 11 Mar 2023 - 5:56
Joli Chéliel, belle voix.
Tu as une guitare classique (cordes en nylon) ou folk (cordes en métal)?
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Dim 19 Mar 2023 - 19:35
Le temps d'un recul
Quelques mois plus tôt
Je ne t'attendais pas ce jour-là. Et ce jour-là, c'était la nuit. Je n'attendais que l'apaisement de mon corps pétri de douleurs. Alors te voir, adossé au mur, les bras croisés sur un cœur que tu semblais contenir vrillait le mien. C'était tout ce que je ne voulais pas. Tout ce que je voulais nous éviter.
Il a suffit d'un instant pour que le ciel se renverse. Un instant pour que les lignes du temps courbent nos étoiles brûlantes. Tu as débarqué avec la joie d'un enfant, après-midi cinéma, ma jolie, ça te dit. Oh non, pas ça, ai-je lâché quand je t'ai vu sur le seuil de ma chambre, porte grande ouverte, propulsé dans l'impasse de mes maux. Non, pas ça, ne pas éteindre la belle étincelle, ne pas être l'ombre qui traverse ton regard. Tu t'es d'abord figé sur le froid, la dureté de ces mots qui ne vont pas entre nous. Hannah, dans un souffle d'âme, ça va, qu'est-ce qui se passe, je dérange. Tu t'es perdu sur la vision de mon amie à genoux près de mon lit, les mains rivées sur mon dos. Tu t'es perdu en cette nuit qui venait à toi.
Première fois que tu me voyais en-dehors du fauteuil.
Puis, lentement, tu t'es avancé, tu t'es penché pour un baiser hésitant, murmuré de tes lèvres à ma tempe et durant quelques secondes, les paupières fermées, je me suis recroquevillée au-delà de la peau, loin dans ce corps éclaté. Je me suis laissée couler dans les vagues de lumière qui frappaient les rives de mon être tellement à vif que je m'y noyais. Et puis le silence d'après, quand les vagues se sont retirées. Deux mouvements qui se croisaient et s'entrecoupaient sans discontinuer. Plus lentement encore, tu as reculé vers le mur et tu t'es décomposé sur la pluie de mots que j'ai prononcés. Sur cette voix blanche qui les soutenait, hey Raphaël, non, non, ça va, tu ne déranges pas, fallait prévenir, enfin tu ne préviens jamais, et c'est très bien, c'est pas une heure habituelle, t'es pas au taf, visiblement non, c'est juste que là je peux pas trop le cinéma. Doucement, tu t'es défait sur cette brindille de voix qui se brisait sous le poids d'un misérable ça va, sous l'instant lourd et profond, mouvant, qui nous précipitait dans une réalité fracassante, ça va, pas trop en forme là, mais ça va, il faut attendre que ça redescende, juste attendre. Sur la force surhumaine que je déployais afin de me donner une contenance, fragile mais une contenance malgré tout, te protéger, me protéger, parce que la lumière qui me broyait et toi, en face, sur un recul, j'en ai eu le vertige, le cœur prêt à déborder et tout s'est mis à vaciller, ça va t'inquiète pas, Marjo est en train de couper le feu, ah oui, j'oubliais, les présentations Marjolaine, Raphaël, elle coupe le feu, elle a un don, sa grand-mère qui lui a transmis, ça va redescendre, si, si, ça va redescendre, il faut que ça redescende, que ça remonte, je ne sais pas, je ne sais plus, il faut que je revienne, je vais revenir et ensuite on se fera un ciné. Si tu veux. Toujours. Une larme a cogné, discrète, mon oreiller.
Première fois que tu me voyais toutes vulnérabilités à l'air.
Navane, Le 19 mars 2023
Invité
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Dim 19 Mar 2023 - 19:59
C'est beau ! Pour toi navane, tu prendras tes ailes
cheliel
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Lun 20 Mar 2023 - 9:16
Le temps d’une apnée
La panique m’enlace, je suis perdu, ma voix s’effondre dans l’inaudible comme le soleil disparaît à l’Ouest de mon ignorance. Je m’approche et je dépose mes lèvres sur ta peau brûlante. Un baiser aussi léger que le frôlement d’une aile de papillon, fugace, aérien, d’une réserve que les tremblements ont failli trahir, peut-il être le ravivement d’une souffrance ? Un baiser d’amour peut-il faire mal ?
Je m’essouffle et suffoque avec toi, mon cœur se dérègle sous les éclats de la fièvre qui fait luire ton front. Pourquoi ? Pourquoi un tel martyr dans le regard de celle qui a le don des anges ? Est-ce le prix à payer pour côtoyer la grâce céleste des faiseurs de rêves ?
L’étincelle qui s’éteint entre mes cils, ce n’est pas la joie qui meurt, ce n’est pas l’amour qui s’évanouit, ce n’est pas le bonheur de t’être lié qui s’efface. C’est simplement la candeur qui s’évide de mes yeux. Tu endures, éblouie par le mal qui s’échine à t’atteindre, et c’est encore moi que tu protèges, sans penser à demain.
J’ai honte, je recul, non parce que je souhaite fuir ce qui t’arrive, mais parce que je m’en veux de toute cette impuissance qui s’épand dans nos souffles laissés courts. Quand tu me disais, entre deux rires qui m’emportaient plus haut sur notre nuage, quand tu me susurrais que tu savais, oui, tu savais que nous étions invincibles, je n’avais rien compris, Nanou.
Quelle naïveté n’est-ce pas ? Oh ma douce, ma belle amie. J’aimerais absorber ce qui s’en prend à toi aussi cruellement, au moins trois temps, celui de te poser, te reposer, te recomposer. Trois battements d’ailes et mon cœur qui s’envole à tes côtés, aussi fort qu’il peut l’être dans les moments où tout semble s’écrouler.
Pourquoi paniques-tu de ma présence ? Pourquoi as-tu peur que je te vois terrassé par le mal quand tu m’as si souvent anéanti d’amour ? Je voudrais boire tes tourments de la même manière que je savoure la légèreté de nos espoirs entremêlés. Mais je suis là, inutile, incapable, dépassé. Je ne suis pas Marjo qui s’affaire à couper les racines des flammes léchant goulûment tes nerfs. Non, je ne suis que moi, cet être émotif que tu préserves jusqu’à l’incroyable. Pourquoi ?
La brûlure des larmes s’agriffe à ma vision rendue floue, mais je refuse de pleurer. Si nous ne pouvons pas partager ton fardeau de douleur, je peux t’alléger de détresse.
Où puises-tu le courage pour affronter cette vulnérabilité ? J'aimerais tant que ce ne sois pas dans l'espoir de m'en épargner, car je t'aime toute entière, des cimes de ta joliesse jusque dans les abîmes de tes faiblesses.
Chéliel, Le 20 mars 2023
Invité
Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Lun 20 Mar 2023 - 18:37
Merci verveine pour l’appréciation, contente que ça passe bien. Un autre merci pour la grâce de ce moment hors du temps, j'ai frissonné de plaisir... Toute entière, jusqu'au bout des ailes et au-delà
Je crois bien que tu m'as entendue, cheliel... C'est ce que j'espérais suite à ce temps, que tu le saisisses d'une façon ou d'une autre. En fait, "le temps d'un recul" est le début d'un long texte préparé ce week-end, tellement long que j'ai préféré le scinder en 3 temps. Les 2 autres restent à l'état d'ébauche et d'idée mais si tu n'avais pas écrit ce texte, je serais clairement aller te chercher avec cette suite en préparation. D'ailleurs, c'est étrange de la superposer à ton texte.
Sinon, je t'ai lu ce midi et j'ai versé une larme ou deux. Magnifique
Cévennes
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Lun 20 Mar 2023 - 20:02
mon doux comme c'est beau ce que tu as écrit. Magnifique plume, la fée des mots
Cheliel pareil , que de beaux mots tournés avec le cœur et cette voix
Cela fait du bien de lire tant de douceur Merci
Invité
Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mar 21 Mar 2023 - 19:03
Merci, ravie que ces 2 temps te fassent du bien, Cévennes. Un kiss du soir très, très doux
Maldoror
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mer 22 Mar 2023 - 2:12
C'est très beau ce chassé-croisé entre ces amoureux, réels ou fictifs, ça n'a pas d'importance.
Ma petite pierre à l'éditrice (je deviens dyslexique, pardon)
L'amour etc.
L'amour est un volcan qui te souffle dans les veines te calme comme une verveine ou te rend rugissant
l'amour est une clepsydre qui s'écoule tendrement pour amoureusement anesthésier tes hydres
L'amour est une boussole et quand tu perds le nord il reste là, sans effort et puis il te console
L'amour est une armure qui protège ton coeur d'une infinie douceur contre coups et fêlures
L'amour est un royaume où tu deviens un roi reconnu par une loi qui touche aux atomes
L'amour est une muse une vraie fée des bois qui s'infuse en toi sans sortilèges ni ruses
L'amour est un mirage si réel que sans lui nos rivages éblouis ne peuvent qu'être naufrages.
Joc
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mer 22 Mar 2023 - 7:26
Les éléphants
"Le sable rouge est comme une mer sans limite, Et qui flambe, muette, affaissée en son lit. Une ondulation immobile remplit L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.
Nulle vie et nul bruit. Tous les lions repus Dorment au fond de l'antre éloigné de cent lieues, Et la girafe boit dans les fontaines bleues, Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.
Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile L'air épais, où circule un immense soleil. Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil, Fait onduler son dos dont l'écaille étincelle.
Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs. Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes, Lés éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes Vont au pays natal à travers les déserts.
D'un point de l'horizon, comme des masses brunes, Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit, Pour ne point dévier du chemin le plus droit, Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.
Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine Sa tête est comme un roc, et l'arc de son échine Se voûte puissamment à ses moindres efforts.
Sans ralentir jamais et sans hâter sa marche, Il guide au but certain ses compagnons poudreux ; Et, creusant par derrière un sillon sablonneux, Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.
L'oreille en éventail, la trompe entre les dents, Ils cheminent, l'oeil clos. Leur ventre bat et fume, Et leur sueur dans l'air embrasé monte en brume ; Et bourdonnent autour mille insectes ardents.
Mais qu'importent la soif et la mouche vorace, Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ? Ils rêvent en marchant du pays délaissé, Des forêts de figuiers où s'abrita leur race.
Ils reverront le fleuve échappé des grands monts, Où nage en mugissant l'hippopotame énorme, Où, blanchis par la Lune et projetant leur forme, Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.
Aussi, pleins de courage et de lenteur, ils passent Comme une ligne noire, au sable illimité ; Et le désert reprend son immobilité Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent." Charles-Marie Leconte Delisle
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 24 Mar 2023 - 11:26
Le temps de nous dire
Quand Marjolaine s'est levée, voilà ma belle, c'est fini, tu as besoin d'autre chose, si tu as besoin, tu m'appelles, j'ai eu froid. Quand elle s'est tournée un index pointé vers toi, je te la confie, prends soin d'elle, pas intérêt à te louper sinon tu auras de mes nouvelles, j'ai été embarrassée. Oh non, Marjorie, arrête ça, tu ne me confies de rien du tout à personne, c'est complètement ridicule.
— Oui, c'est ridicule, as-tu coupé les mains levées en signe d'apaisement, sois tranquille, je n'ai pas d'autres intentions que de rester auprès d'elle.
Marjolaine s'en est allée et un silence tentaculaire l'a remplacée. Je ne savais pas quoi dire, quoi penser. Je ne savais que répondre aux questions qui s'échappaient en tous sens de toi. Parce qu'elles étaient là, blessées et blessantes, emplissant l'espace pour le réduire d'incompréhensions. Je les voyais contracter ton corps dans toute sa longueur. Je les entendais rompre l'harmonie habituelle dans la cacophonie de leurs assauts décontenancées. Il était temps de se dire :
— Ne fais pas attention à Marjo. Je vais mieux, c'est lorsque je bouge que j'ai mal. Je venais d'aller aux toilettes. On s'est arrangées pour qu'elle vienne à ce moment et calmer au moins cette crise mais bon c'est pas ouf ouf... Il me faut un peu de temps pour retrouver le calme. Un calme relatif. Enfin bref, t'es pas obligé de rester, ni rien.
— Je ne me sens obligé de rien, si ce n'est suivre mon cœur. J'ai pris mon vendredi parce que j'avais envie de passer du temps avec toi. Alors je suis là et je vais rester. Nous irons au cinéma si tu en as envie, nous promener, aller au salon de thé dont tu m'as tant parlé, ce que tu veux, peu importe tant que nous sommes ensemble. Mais si tu préfères que je m'en aille parce que ma présence te pèse quand je ressens...
— Raphaël, excuse-moi de t'interrompre, est-ce qu'on peut rester ici ?
Je ne voulais pas que tu me voies dans cet état mais je ne voulais pas que tu t'en ailles. Je refusais de te laisser croire que ta présence me pesait. Je refusais de t'entendre le mettre en mots même sous forme d'éventualité. Car au milieu de mes peurs, de la douleur, de cet entre-deux dans lequel je me débattais, de ces instants dont je voulais te protéger, c'était tout ce dont j'étais certaine. Que tu sois là.
— J'ai pas spécialement envie de sortir, ai-je continué. Ça te dérange pas, c'est pas trop nul de rester ici alors que tu avais un autre programme, hein ?
— Tout ce que tu voudras, Nanou, as-tu soufflé avant de t'approcher à grandes enjambées et t'agenouiller à mes côtés.
J'étais allongée sur le côté et te voir franchir cet espace qui nous séparait, te mettre à genoux, toi si grand, ce corps à hauteur du mien si menu, toi juste là, tout près, les bras arrimés au matelas, le visage éclairé d'un sourire léger, c'était troublant, terriblement, et d'une douceur renversante.
— Tout ce que tu voudras, as-tu répété en te passant la main dans les cheveux. Tant que nous sommes ensemble rien ne peut être nul, d'accord ?
— D'accord.
— Et puis, je suis certain que Marjolaine guette une sortie trop rapide... Bon sang, quel personnage et quel accueil. Si j'avais des doutes quant à mon charisme, me voilà définitivement rassuré. Je suis le charisme incarné. C'est dommage, je n'ai pas eu le temps de la remercier. Tu en as d'autres des copines comme elle ? Elles m'attendent peut-être dehors ? Tout un fan-club rien que pour moi...
Où allais-tu ? Où m'emmenais-tu ? Incrédule, je t'ai regardé longuement et tu as ajouté d'un air taquin « Dis-moi, cette Barjo possède un casier judiciaire en fais et ris ? ». Et là, j’ai pouffé de rire car non seulement je ne m’y attendais pas mais en plus j’adorais l’esprit. Évidemment. Tu ne pouvais pas faire mieux pour que l'on se retrouve. Tu as préféré l'approche par l'humour pour me toucher et finir de me ramener ici. Pour nous ramener ici. Ce n'était pas facile pour toi. Je ne le savais que trop bien. Et pourtant, d’un revers de mots, tu venais d'ouvrir une brèche entre nous pour y insuffler un peu d'air. La tension redescendait et l'émotion me gagnait. Une nouvelle larme a cogné mon oreiller, discrète toujours, mais plus légère.
— Te voir sourire est ma petite victoire du jour. Je ne compte pas m'arrêter là-dessus, ma douce, tout regonflé de confiance que je suis désormais grâce à l'effet Barjo...
— ... Qui n'a rien à envier à l'effet Gros Bêta. Ohlala, pff, t'es génial. Hey, désolée si j'ai été désagréable quand tu es arrivé. Et désolée pour Barjo. Ça lui va drôlement bien, au passage. Elle grogne mais ne mord pas. Tu étais là, il lui fallait un réceptacle. En fait, j'en sais trop rien. Je crois qu'elle est juste inquiète, c'est sa façon de réagir. C'est pas contre toi en particulier.
— Alors cela nous fait un point commun. On pourra peut-être s'entendre au moins sur ce point puisqu'il me faut reconnaître que moi aussi je suis inquiet et surtout je ne comprends pas bien. Je crois que j'ai raté un épisode. Tu m'avais dit pour ton dos il y a quelques temps mais je ne pensais pas que c'était à ce point. Si tu pouvais m'éclairer, ce ne serait pas de refus.
— Bah, simplement, j'ai mal. L'infection du matériel est repartie. C'est une nouvelle crise inflammatoire. La deuxième en 3 semaines. Comme la première, ça me lance partout quand je bouge. Là, je viens d'aller aux toilettes, ce sont de nombreux de mouvements. On ne se rend pas compte du nombre de gestes effectués dans les actes les plus élémentaires du quotidien. Je me découvre même des muscles, je t'assure, des sensations affolantes jusqu'aux orteils. Chaque geste, chaque transfert est devenu de l'ordre du parcours initiatique. Ça me met à l'envers ou l'endroit, je ne sais pas trop. Ça m'épuise surtout, doucement et sûrement.
Tu me considérais attentivement. C'était beaucoup d'un coup. Je m'en rendais bien compte. Nerveuse, je parlais vite, d'une petite voix sans réfléchir. Parce que si je m'étais mise à réfléchir, je me serais enfermée dans ma tête sans ne plus jamais en sortir.
— Ton médecin en dit quoi ?
— Il faudrait que je lui demande, ce que je ne compte pas faire, ai-je répondu en mordillant la lèvre.
— Tu n'as rien dit à ton médecin, t'es-tu exclamé le sourcil relevé.
— Tranquille, Faël chéri, tranquille... Mon médecin ne peut rien pour moi, ni lui ni les hautes autorités parisiennes. Il faudrait retirer les tiges mais je ne supporterais pas l'opération. Quant aux antibiotiques, on a déjà essayé. À recommencer, le risque serait que je développe une résistance qui compliquerait les soins en cas de bronchite. Cela pourrait aussi favoriser la mutation du germe qui s'attaque à mon dos et mes hanches en une souche plus virulente. De toute façon, je ne veux plus rien de tout ça.
— C'est à dire rien de tout ça ? Je ne suis pas certain de bien comprendre.
— Bah rien de tout ça. Pas de soin lourd, aucune approche agressive, pas de geste invasif. Rien.
— Rien...?
— Rien.
— Et c'est tout ?
— Oui. C'est déjà pas mal...
— Donc laisser faire, laisser l'infection se propager ?
— Plutôt attendre que la situation se stabilise.
— C'est plutôt « espérer » que la situation se stabilise, as-tu rectifié en signant des doigts les guillemets et en te redressant. Ton généraliste pourrait soulager la douleur avec des traitements plus adaptés. Je ne sais pas mais faire quelque chose.
— Je prends déjà des anti-inflammatoires qui ne sont que peu efficaces. Je n'ai pas envie d'essayer autre chose de plus puissant. Tant que je ne bouge pas, ça va, c'est à peu près gérable. Je sens une gêne à la respiration mais ça va. Ce sont les mouvements qui me foutent en l'air. 4 fois par jour. 7 mouvements pour la douche, 5 pour l'habillage, 2 pour le transfert au fauteuil. À 13h, pause pipi, 9 mouvements. Il me faut près de 20 minutes après une mobilisation pour redescendre ou remonter, c'est trop bizarre. Là, tu vois, je ne peux m'empêcher d'anticiper les prochains mouvements nécessaires pour passer au fauteuil. Je ne devrais pas mais c'est comme ça. Alors je prends un cachet une heure avant chaque mobilisation mais ça ne sert à rien.
— Mais lui dire au moins, seulement lui dire, le tenir informé de la situation parce que c'est ton médecin, as-tu répliqué avec dépit.
Nous y étions. Ça allait venir. Et c'est venu. Tu as inspiré profondément avant de me demander :
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? Ce sont quand même des choses qui se disent entre amis, non ?
— Je te l'ai dit, à demi-mots, mais je te l'ai dit que j'avais mal au dos.
— S'il te plaît, Nanou...
— D'accord, d'accord. Ce n'était que les débuts, je pensais que ça passerait. Alors, oui, j'en ai pas reparlé ensuite mais je ne voulais pas que tu t'inquiètes parce que tu avais toi-même tes propres préoccupations. Si je t'en avais parlé, tu ne te serais peut-être pas épanché, du moins pas de la même manière, quand tu en avais en gros sur le cœur. Tu te serais fermé. Tout simplement. Je ne tiens pas non plus à être une source d'inquiétudes dans ta vie. Je ne sais pas ce que je peux te dire, ce que tu peux entendre sans que tu partes en vrille... C'était pour te protéger. On commençait à avancer sur un rythme tranquille, assez serein, un rythme qui nous appartenait mais ça allait. Je crois que j'ai voulu prolonger ce temps. Car il y a eu ça et je me suis retrouvée dépassée. Par le choc de ce retour infectieux, par la douleur qu'il n'y avait pas avant, par l'impasse thérapeutique. C'était compliqué et je ne savais pas quoi dire. Je ne le sais toujours pas mais j'essaie.
— Oui, les temps étaient peu folichons de mon côté et je me laissais porter dans une sorte de mouvement vague mais je n'ai pas besoin que tu me protèges, Hannah. J'ignore ce qui te fait penser que tu es une source d'inquiétude dans ma vie quand ta présence en redessine les sens dans la profondeur des moments partagés. Je crois surtout que c'est toi que tu tentes de protéger à contrôler l’incontrôlable. Quelque part, cette délicatesse me touche mais elle est de trop. Pour nous deux. Je suis un grand garçon et il revient à chacun de gérer ces états-d'âme. Ne te préoccupe pas de ce que je ressens ou non quand tu traverses des phases fragiles. J'ai toujours peur d'être maladroit avec toi et te savoir, désormais te voir, capable de prendre sur toi à un moment d'extrême fébrilité ne fait que me renvoyer à mes insuffisances. Mais j'essaie aussi, j'essaie de ne pas les laisser m'envahir et je reste rivé sur notre présent qui les déloge à la source. Alors s'il te plaît, ne prends plus sur toi pour m'épargner. Et parle-moi, vraiment. Nous pouvons traverser le feu ensemble. Que tu puisses taire ce qui t'anime ou te désanime me glace davantage. Ne me tiens pas à distance parce que je suis d'une nature angoissée.
Sur cette dernière phrase, tu as pris ma main et, entre nous, entre nos mains et cette dernière phrase, un silence étrange a plané. Sonnée par ce qui ressortait de notre échange, j'ai cherché un mot et j'en ai rencontré d'autres. Ils se dérobaient, s'éparpillaient, se dispersaient au milieu de nos regards encastrés. Je n'ai trouvé d'autre à dire que « je ne te tiens pas à distance ».
— C'est pourtant l'impression que cela me donne parfois...
— Raphaël, tu veux que je te parle alors je vais te parler... Oui, c'était foireux. J'en ai bien conscience. Mais est-ce que tu peux comprendre que j'ai envie de penser à autre chose quand on se voit, de partager des moments sans tout ça parce que ce truc est en train de me bouffer ? Que c'était une façon de lutter, certes, maladroite parce que tu n'étais pas au fait de ce qui se passait, mais c'était une façon de lutter avec toi parce que tu étais libre de toute inquiétude. Tu peux douter de beaucoup de choses mais pas de la place que tu as dans mon cœur. Est-ce que tu peux comprendre ça ?
— Je peux le comprendre dans la mesure où tu étais en proie à la peur mais que chacun sache ce que l'autre traverse n'aurait que grandit notre lien. Je n’arrive pas supporter qu’un amour (quel qu’il soit) soit fragilisé par des quiproquos ou du mal vécu. Laisse-moi t'aider, Hannah. Pour dire les choses, moi aussi j'ai un don. Il n'y a pas le sceau d'un aïeul dessus mais, les rares fois où je l'ai utilisé, mes proches ont ressenti un mieux. Je peux essayer de te soulager.
— Je vois que Barjo fait des émules mais c'est non.
— Pourquoi ?
— Parce que.
— Ce n'est pas une réponse satisfaisante.
— Je ne veux pas que tu m'aides.
— Tu préfères souffrir plutôt que mon aide ? Ça devient blessant.
— Alors cesse de te blesser tout seul en tirant des conclusions hâtives. Non je ne préfère pas souffrir, non je ne fais pas le choix de la souffrance. Il faudrait que je sois tarée pour choisir de souffrir. Je ne veux pas que tu m'aides. C'est tout.
— Tu ne peux pas faire ça. Tenir les rênes de la conversation, la contenir comme bon te semble et me laisser planté là, à me débrouiller avec ce que tu consens à bien vouloir me dire. Je suis là et je n'ai pas l'intention de te lâcher. Donc, je réitère ma question. Pourquoi ? Et cette fois tu vas me faire le plaisir de me répondre véritablement.
— Ce que tu peux être chiant...
— Et toi une vraie casse-bonbon...
Chiant mais désarmant. Tu te tenais près de moi prêt à essayer de défaire chaque résistance que j'opposais. Il y avait une innocence en toi que j'enviais tellement qu'il m'était difficile de ne pas vouloir la préserver.
— Allez, arrête de lever les yeux au ciel et dis-moi pourquoi. Qu'est-ce que cela coûte d'essayer, as-tu insisté en prenant ma main. Je vais finir par envier Marjolaine.
— Ça, justement, ai-je répondu en désignant nos mains du regard.
— Ça...?
— Oui, notre relation. Je ne veux pas qu'il y ait de l'aide, du soin dans ce qui fait l'essence de notre histoire.
— Je crois que nous le faisons depuis le début à travers l'empathie que nous avons pu éprouver l’un pour l’autre et de tout ce qui constituait la profondeur d’être que l’on s’inspirait. Alors quelle différence ? Pourquoi non ?
— Parce que ce n'était alors pas intentionnel. Ce serait la meilleure façon de passer à côté, ça pourrait entraîner un déséquilibre à l'avenir. Je t'ai vu tant de fois aider, je sais que tu as ça dans l'âme, mais jusqu'à l'excès. Je refuse que tu sois dans ce genre de démarche avec moi. Je veux que tu te sentes aimé pour celui que tu es et non pour ce que tu apportes ou fais. Je n'attends rien de toi et ne te demande rien. Je ne veux pas qu'il y ait de soignant et soigné, sauveur et sauvé, de dimension curative. Je ne veux pas être un corps à soigner entre tes mains. On me soigne tout le temps, je suis fatiguée de tout ça. Je ne veux pas de ces conneries. Dans un sens comme dans l'autre. Et toi non plus, je crois, car tu me tiens à l'écart tant bien que mal de tes propres ombres. Cette main, toute douce et souple, elle est très bien, là, comme ça, simplement dans la mienne.
Une grosse larme a dévalé ton visage, puis une autre que tu as essuyées rapidement.
— En fait, tu crains que l'intention d'aide ne biaise notre histoire si engrammée dans ses fondements. Car, au fond, nous avons tous les deux ça dans l'âme. C'est ça ?
J'ai hoché le visage avec un sourire ému. Tu venais de comprendre.
— D'accord ma douce, oublions le soin et l'aide. Je laisse ça aux autres et à Barjo.
Navane, Le 24 mars 2023
cheliel
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 24 Mar 2023 - 16:26
Cévennes et Maldo,
Navane,
Simplement merci. J'ai les larmes aux yeux et je cafouille trop pour composer des phrases plus élaborées. Merci de tout mon cœur, de toute mon âme, et j'attends ce troisième temps qui complétera les deux autres pour aller au bout de l'esquisse initiale. Merci pour toute cette magnifique humanité.
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Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 24 Mar 2023 - 19:24
Merci pour ton commentaire sur le premier temps et pour ton dernier partage, Maldoror
De rien, cheliel. Vraiment Pour le troisième temps, les images sont bien là. Il ne reste qu'à les mettre en mots et ça devrait être moins long. Mais je ne sais pas trop, encore dans l'énergie du second. Je verrai ça tranquillou.
Craie
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 24 Mar 2023 - 22:19
Jardinière en ville, Trafic vire au vert soleil, Gentille bisbille.
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Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Sam 25 Mar 2023 - 9:35
Il y a un mouvement subtil entre ton image de profil et la photo (ciel et terre, ascendant et descendant, plénitude des formes et foisonnement vert)... Si bien que j'ai cru voir passer la femme aux colombes au cœur de cette jardinière en ville.
Craie
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Sam 25 Mar 2023 - 11:28
Je n'avais pas fait le rapprochement, il est là, merci du coup d'œil.
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Jeu 30 Mar 2023 - 12:12
Le regard
Un dessin naît dans l’ouverture du regard, Y vit, s’y déploie, l’esquisse délicieuse, Couleurs, lumières, nuances harmonieuses, S’enlacent et s’embrassent, dans la joie de l’art.
A chaque instant, la vive image y meurt, Abandonne ses traits avec insouciance, Et s’estompe dans l’éternelle Présence, Laissant les suivantes prolonger le bonheur.
Si longtemps contemplées, les vues disparaissent, Point besoin d’yeux pour voir l’étendue de l’Amour, Te sens-tu choyé(e) dans l’infinie tendresse?
La beauté se réveille dans un nouveau jour, Baignés de soleil, libres, nous y dansons nus - Tu y es aimé(e) comme tu l’as toujours su.
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Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 31 Mar 2023 - 4:32
Le Silence
Au milieu de la nuit, le Silence. Paisiblement, le Silence. Joyeusement, le Silence. Dans la musique, le Silence. Dans le silence, le Silence.
J’attends d’être saisie par la Grâce.
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Ven 31 Mar 2023 - 17:41
La Grâce est partout où tu es, Milacik
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Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mar 4 Avr 2023 - 11:38
Le temps d'un accord
Un blanc. Un brouillon, un gigantesque brouillon. Je ne t'avais pas dit la moitié de ce qui me traversait, la fatigue qui inclinait doucement mes pensées, le soleil couchant et les nuits sans étoiles. Je ne t'avais pas dit la peur, la peur de rien, la peur de tout et le futur avec toi, toi que je n'attendais pas quand, toute une vie, je n'avais fait que fuir dans l'instant. Je ne t'avais pas dit l'amour de crainte que tu te sentes piégé, obligé. L'amour et encore l'amour, tellement plus que tu ne le croyais. Je n'étais même pas certaine du sens de ce que je venais de te confier. Pouvait-il seulement y en avoir un à essayer de délivrer l'insensé ?
Les mots étaient arrivés aussi en vrac que je ne l'étais. À la fois pudiques et éparpillés, volatils et de plomb, un souffle de vie et ses tremblements de larmes, dans le détail des ombres et résorbés de maintenant en maintenant. En vrac mais un répit pour mon esprit endolori. La réalité, cette terrible réalité, et les sentiments éprouvés ne pouvaient être déclinés avec des mots bien ficelés. Je t'avais tout juste expliqué, par morceaux, je m'étais à peine démêlée, pas plus que je n'avais mis des mots sur les maux. Trop à vif, je n'avais pas le recul pour ce faire à cet instant. Et pourquoi, comment rester à la surface molle des choses car ce n'était jamais que ça « mettre des mots sur les maux » ? Comment mettre des mots lorsqu'il y avait lutte, incohérence et vulnérabilité au loin ? Comment dire sans le trahir un amour quand il nous disait ? Il n'y avait pas de résumé possible, ni souhaitable, dans l'épanchement d'un être à un autre. Les mots étaient ceux de mon corps malade et de mon âme aimante. Je n'étais pas non plus dans un état vigilance qui me poussait à ordonner ma pensée sans aller trop vite. Avec toi, je ne l'étais jamais, j'étais libre d'être. Imprévisible à nous-mêmes. Et ce jour-là, plus qu'un autre, je n'avais d'autres chemins que de me laisser-aller à toi saisie par ce flot, cette déferlante de mots qui drainaient aussi bien les grands désordres qu'une masse de tendresse. Mes propos ont dû te sembler lunaires par une ou deux fois mais tu es resté du voyage. Et tant que tu étais du voyage...
C'était un début, toujours ce début qui me suffisait. Il venait se mêler à cette impression d'inépuisable ressentie auprès des êtres aimés. C'est à cette impression que je reconnais l'amour. Quand les instants partagés s'inscrivent dans un entre-deux où la fin est écartée. C'est de cette façon que je t'ai reconnu il y a quelques temps déjà. Évidemment. Nos mains entrelacées comme un repère absolu où le temps n'était plus, tu me faisais la faveur de l'égarement, de l'incompréhensible et de la présence irradiant d'un amour qui sait.
Quand soudainement tu t'es levé, oublions l'aide et le soin, laissons ça aux autres et à Barjo, j'ai eu froid dans nos mains relâchées. Quand tu as contourné le lit l'index pointé vers un interlocuteur imaginaire, pas un corps à soigner, comme le rocher attend la vague et le soleil la lune, la douceur ne peut se louper lorsque, à bras-le-cœur, l'éternel s'y renouvelle, je me suis retrouvée à court de tout mais blottie dans tes bras. Partagée entre l'amusement à te voir reproduire l'accueil que Marjolaine t'avait réservé plus tôt, poésie en moins, et ta progression rapide de l'autre côté du lit, je n'avais pas eu le temps de dire quoi que ce soit que tu t'étais glissé avec l'impondérable délicatesse d'une plume à mes cotés. Toi aussi tu étais imprévisible à nous-mêmes.
Un volume d'air inspiré comme avant un saut dans le vide et un autre relâché. Je me suis contractée un bref instant par réflexe. Même si j'étais sortie du pic de douleur, mon dos restait à vif et la souffrance par assauts réguliers s'était imprimée dans mes nerfs. Je me suis contractée aussi parce que j'étais étrangère à la chaleur d'une étreinte. Et la tienne me bouleversait. En toute profondeur et au-delà. Une sensation nouvelle m'a parcourue. Mon cœur battait très fort, si fort que tu l'as sûrement entendu résonner en toi. Tu savais que ce n'était pas naturel d'être approchée autrement que pour les soins quotidiens. Par un corps qui enveloppait le mien. Par une odeur dont je m'imprégnais au plus près, en tous sens, l'inspirer pour la toucher et la contempler, la boire pour l'écouter en mon sein. Par des bras qui ne faisaient qu'aimer, sorte de conduit entre le cœur et la vie. Par une main, encore, tes doigts graciles qui effleuraient mes cheveux sur toute leur longueur en les replaçant derrière l'oreille. Mais tu savais aussi que tu avais déjà ouvert, de toucher en caresse, une fenêtre là où il n'y en avait pas. Alors tu t'es accordé à ce repli, tu l'as apprivoisé en me couvrant d'une infinie douceur qui faisait tomber les remparts érigés.
— Je suis là, Nanou.
À ces quelques mots que tu as chuchotés au creux mon oreille, que tu as répétés « je suis là », presque une litanie, je me suis laissée porter. Sur cette main qui a réchauffé mon bras, puis reculé pour rejoindre légère comme l'air mes côtes saillantes, et descendre enfin pour se poser grande ouverte sur mon ventre se gonflant et se dégonflant au rythme d'une respiration plus profonde, je me suis laissée aller. Des larmes sont à nouveau tombées. Lourdes et incontrôlables. Silencieuses. Larmes d'une vaincue, larmes de joie, larmes d'amour. Elles contenaient tellement que j'aurais été bien incapable de dire quoi précisément. Elles venaient de si loin qu'elles avaient oublié ce qu'elles charriaient et préféraient rejoindre la sortie sans converser. Je pouvais leur faire la bonté de s'en aller en silence. Peut-être ne contenaient-elles rien de particulier, sinon le temps auquel nous échappions ? La vie qui reprenait ses droits ? Un tout et rien qui suivait le sentier que tu traçais sur mes contours dans une attention soutenue. À ce moment-là, rien de tout cela n'était important. Encore maintenant alors qu'elles s'écoulent à leur évocation. Je ne sais pas si tu t'en ai aperçu, si tu as senti cette montée de l'âme à travers nos corps rencontrés. J'étais dans tes bras, appuyée à toi ou l'inverse peut-être, je ne sais plus, l'un tout contre l'autre, c'est sur, et le calme a fleuri dans ma chair. Il ne restait que la clarté entre nous quand, ta voix contre ma peau, tu as fredonné :
« C'est trois fois rien, un rien dans lequel tout résonne, pour enchanter le réel, d'une mélodie lointaine et proche tout à la fois, je suis là, lalala... Ça ne s'explique pas, d'une beauté qui suspend le temps, se conjugue dans la présence et fait d'une larme d'eau, une fleur de coton, hmm, hmm, un silence qui en touche un autre et se meurt à petits vœux, jusqu'à l'emballement des corps bouleversés ».
Je n'ai pas bougé, bien sur, il n'y a pas eu de corps retourné vers un autre, de bras tendus et de visage enfoui au creux d'un cou. Pourtant, je t'ai enlacé avec une force d'amour que je ne me connaissais pas. À cet instant précis, j'ai senti nos vies s'enrouler l'une dans l'autre. C'était peut-être aussi ça l'amour ? Quand les mots n'avaient plus d'importance et que seule la chanson comptait. Ça ne pouvait être que ça, cette musique, cette harmonie, cet accord divin qui libère. Alors cette fois, certaine du sens de ce que j'allais te confier, je t'ai dit l'amour. Juste l'amour. Tellement plus que tu ne le croyais. Et j'ai fredonné :
« Je n’ai que mon cœur et tous mes vœux pour nourrir, les rêves que l’on sème, en poèmes, quand l'on s’aime, je n’ai qu'une fleur bleue à cueillir, dans mon jardin d’aveux en sourires... ».
Un silence en nous, autour de nous, l'espace d'un bouleversement, le temps que nos vies s'enroulent encore. Tu as approfondi notre étreinte avant de souffler :
— Moi aussi.
Navane, Le 4 avril 2023
cheliel
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mer 5 Avr 2023 - 14:52
Le temps d’un envol
Tu es restée silencieuse et c’est en ce cocon, l’espace chaleureux entre nos mots enlacés dans cette pause indéfinie, que j’ai saisi la profondeur de tes messages d’avant.
Nos résonances, nos complicités, nos échos, les pulsations de nos centres qui se répondaient n’étaient pas nés des soins que l’on apporte aux maux de la vie. Non, ils émergeaient de ce que nous créions ensemble du seul fait d’être côte à côte, de ce qu’engendrait notre âme vagabonde capable de se retrouver par-delà les frontières des êtres et se fondre en multitude de nous.
Il suffisait de s’aimer, de dépasser ainsi la peur de se perdre, l’angoisse de la chute pour que le temps se fige et nous laisse toute la latitude de toucher l’infini, voyager de l’ombre à la lumière, de l’éblouissement aux obscurités secrètes, voguer dans l’irrésolu et permettre à nos étincelles de se mêler à la magie du partage. Et même nos égarements ne pouvaient ressembler à des fins puisque nos musiques se répondaient jusque dans les blancs et les soupires, les harmonies et les dissonances, les doutes et les convictions, les envolées et les chocs précédents le mutisme.
Les corps pouvaient faiblir, se fissurer, se rompre et éclater, nos vies pouvaient s’éteindre aussi facilement que la flamme vacillante sous les souffles hasardeux du temps, nous étions capables d’être là, nos liens invincibles dans l’éternité d’une transition prenant racine au cœur des mystérieux interlignes de l’univers.
Alors je profitais de cet éphémère qui me permettait de te toucher, maintenant, de rassurer les frontières fébriles de ta douloureuse incarnation et suspendre le mal à la seule matière, pour que la tendresse de gestes délicats nous offre le réconfort d’exister au même instant et nous envoler ensemble. Ce n’était pas du soin, mais simplement le besoin d'inventer un pont entre nos cœurs affolés de vie, les rassurer d’espoir et les dédier à des créations d’amour sans borne.
Et qu’importe si nous étions fragiles, insignifiants, défaillants, instables, vulnérables, imparfaits et probablement inachevés, puisque nous étions à l’image de cette réalité brouillonne qui nous permettait d’expérimenter la force du lien, la puissance du rêve, l’absolu beauté du monde qui transitait dans les miroirs embués des âmes grises.
Tu n’étais pas seule pour pleurer. Tu n’étais pas seule pour réapprendre à respirer. Tu n’étais pas seule pour douter, t’alarmer, te rassembler en l’instant, perdre la voix, la retrouver, sourire, trembler d’incertitude et sangloter sourdement. J’étais là, gardien du seuil, prévenant la chute là où le sentiment n’avait ni âge ni raison, ni forme ni résolution si ce n’est celle de rassurer d’échange. Avec toi, pour nous et cette histoire qui s’épanouissait dans toutes nos dimensions et plus encore.
Je sentais ton odeur, ta chaleur, la douceur et la finesse de ta peau, les sons de tes subtils mouvements, le goût de tes larmes. Je percevais les rythmes de ta vie en ce corps si délicat, tel un papillon dont les ailes colorées pouvaient se froisser à la moindre maladresse. Et même éreintée de souffrance, affaiblie de résistance au mal, tu étais portée par la grâce d’être. Quel sensible miracle, merci.
L’étreinte de tes doigts me disaient ce que ta voix ne pouvait formuler, les saccades de ta respiration contrainte contaient ce que les mots n’auraient pu exprimer. Et ton cœur, si fort dans les tambours de sa survie, il m’irradiait de cette explication perdue aux bords de l’amnésie. Tu pouvais te reposer, j’étais là, avec toi et je vivais l’instant à la même fréquence, calant mon souffle sur le tien pour synchroniser nos tempos anarchiques.
Ma douce amie, ma sœur des nuages, ma tendre et facétieuse petite fée, tu n’étais pas seule et si les mots se vidaient de substance, il nous restait nos inventives mélodies, susurrées du bout des lèvres pour les recréer en apaisantes berceuses.
— Moi aussi.
Cheliel, Le 05 Avril 2023
Invité
Invité
Sujet: Re: Textes poétiques et autres écrits Mer 5 Avr 2023 - 21:18
C'était important, cheliel, et ça l'est encore. Merci pour cette envolée commune C'est beau, c'est fort. Et très intéressant ces instants vus sous 2 prismes.