Je préviens, c'est particulier.
Mars 2018,
dans une unité de la réanimation pour mon bilan médical annuel.Le médecin-réanimateur et son interne me posent une série de questions pour faire le point quant à l'évolution de mon état de santé depuis la dernière révision des 50000.
On arrive au nombre d'infections respiratoires cette année :
__ Je n'ai pas eu de bronchite depuis le dernier rendez-vous.
__ Bien, avec un petit hochement de tête vers son interne.
__ Ça fait presque 3 ans que je n'ai pas eu de bronchite. C'est étrange, j'en ai toujours fait au moins 2 par an... Je ne comprends pas.
Ce à quoi elle répond dans un sourire complice
« Vous savez ce qu'on dit, il vaut mieux ne pas comprendre pourquoi on va bien que de savoir pourquoi on va mourir ».
Et son interne d'ajouter juste derrière :
__ Et moralement, comment ça va ?
__ Depuis ce mot d'esprit, je sais pas pourquoi mais très très bien.
Le lendemain, vers 11h. J'ai mal dormi à cause de l'enregistrement nocturne, les bruits du service, les patients mécontents, et ceux qui gémissent de douleur. Mais ça aurait pu être pire comme nuit... J'aurais pu être une patiente qui gémit.
Et puis, les épreuves de souffles ont montré une stabilité du volume de mes poumons rabougris. Une hausse aurait été impensable et une baisse... la baisse, et bien, c'est mieux de ne pas y penser. Bref, ça n'a pas bougé, ça me va.
Reste à connaître les résultats des gazométries et revoir la Doc pour les conclusions de l'hospitalisation. Je ne suis pas inquiète. Hmm, d'humeur aérienne...
C'est là qu'entrent dans ma chambre un médecin suivi d'une interne qui pousse un chariot de matériel médical plus grand qu'elle. Pourquoi ce chariot fait-il incursion dans ma chambre ? Pourquoi toutes ces petites choses posées dessus ? Pour qui ?
__ Vous êtes bien,... il vérifie dans ses dossiers,... Melle Navane ?
Je vérifie dans mes fichiers cérébraux si je n'ai pas une réponse plus arrangeante au regard de la situation à présenter qu'un à peine audible :
__ Oui...
__ Je viens vous faire votre fibroscopie.
__ Euh... Ma quoi !? Ah bon, vous êtes sur parce que c'est pas prévu.
Il avance vers moi dans des enjambées qui me semblent bien trop grandes, bien trop rapides. Il dévore le sol...Le sol s'enfuit sous ses pas.
__ Vous êtes bien trachéotomisée !?
__ Non...
__ Vous êtes sure, me demande-t'il en descendant le col de mon pull. Ce genre d’événement est, c'est vrai, si vite oublié qu'une vérification rigoureuse s'impose.
Quelque chose me chatouille l'esprit. Ça pépite et ça crépite là-haut, un sourire se dessine et des mots rieurs s'en échappent :
__ Tadam, y'a rien !
Regard du petit lapin face aux phares d'un semi-remorque. Le docteur est décontenancé. Il l'a cherché. Derrière lui l'interne qui préparait la sonde ou je ne sais quoi d'une taille affolante s'amuse de la scène.
Mais un médecin de ce calibre n'est jamais décontenancé très longtemps. Il se ressaisit. Mine sérieuse et tout le toutim :
__ Bon et bien, tant qu'à faire, je vais en profiter pour vous ausculter, continue-t'il alors qu'il palpe mon sternum, tout le gril costal avec méthode et application
« Je vois que vous portez un corset ».
Dans ma tête, un champ de fleurs sauvages en pleine éclosion et sa nuée de papillons. Un feu d'artifice de couleurs. Le décollage d'une fusée. La naissance d'une étoile.
J'ai les idées qui s'entrechoquent dans une joyeuse effervescence. Des mots qui se bousculent au bord de mes lèvres.
Je jugule, je régule tandis que je lève les yeux vers lui. Et dans une once de sourire malicieux, je réponds :
__ Non, Docteur, je regrette. Ce n'est pas la dureté d'un corset que vous venez de constater. Ce sont mes côtes déformées.