Tu connais ça, Simple demoiselle?
Quelle musique justement!
CIL ET CELLE
Cil qui daube le tendron
Ou qui flûte au bord de l'Oise,
Cil qui poigne le giron,
Ou qui tâte la framboise.
Cil, flapi dans sa venelle,
Qui bugle de vieux ragots,
Cil, fringant, qui brusque celle
Aux mirettes de moinelle.
Celle au petit vent levant,
Celle aux joues de jouvencelle,
Cil gros-Jean comme devant;
Celle et cil et cil et celle.
Cil, écœuré par l'abîme,
Qui suppute l'Orion,
Cil de foi et cil de frime,
Nourrissons ou moribonds :
Lustrucrus, gaupes, croûtons,
Chevaucheurs de chiméries,
Mistouflards, brimborions
Et gens de toutes frairies.
Cil qui sème son persil
Au fond de l'angoisse et celle
Qui peigne d'un grain de mil
Ses cheveux de vermicelle,
Tant de celles, tant de cils
Qui fourbissent, qui plaidoient,
Chercheurs d'or, friseurs de cils
Et parfumeurs de merdoie.
Ou beaux caresseurs d'étoiles
Ou cajoleurs de mitous
Et baboins de toutes toiles,
Filous, grigous, tourlourous :
Tout se love et tout verdoie!
C'est le monde qui poudroie
Et nous vire ses printemps.
Salut, monde et suc et joies
Et tâchons d'en faire autant.
MINOISELLE
Où c'qu'est la 'tit' minoiselle,
La florette des minous,
La mignote si joiselle
Qui florissait parmi nous?
Où c'qu'est la zouzelle grive
Dont le chant se perlousait
Comme rosée à l'endive
Et myrtille à la forêt?
La voici sous le pleuvant
De ses bouclettes barlongues,
Gazouillant à tous les vents
La voyelle et la diphtongue.
Ses fossettes, ses dazettes,
Ses nichettes, ses ouillais,
C'est la prune, c'est l'oeillet,
La cerise et l'alouette.
La voici par l'embellie,
Si tontine de maintien,
Qu'on dirait dans la prairie
Une biche du matin;
Si tontine, si minette
A bourgeonner du tétin,
Qu'on dirait pour ma cueillette,
L'églantine du lopin.
Jouvencelle, colombelle,
Pimprenelle, mirabelle,
C'est elle, ma péronnelle,
Ma donzelle, ma prunelle,
C'est ell' ma tit' minoiselle.
GUDULE
Tu me jugules, Gudule
Importante créatule
Dont le sourcil noir pullule
Jusqu'au bout des tentacules,
Non c'est non quand tu stipules
Au lieu du piot, la frangule;
Oui, c'est oui quand tu strangules
Sans me dorer la pilule.
Tu bouscules, tu circules,
O ma lune majuscule,
Tu m'écules, tu m'annules
Je ne suis que ta lunule.
Aspiré par tes glandules,
Ma reine à douze valvules,
Tout mon plexus capitule
Sous tes muqueuses férules.
Adieu, forte canicule,
Je fonds, je suis ton Jujules,
Ton expirante virgule
Ton Jujule et ton Numule
Je suis... je fus, ô Gudule,
- Pense à moi dans tes crépuscules.
CHUTE D'UNE DÉESSE
Paf! l'a chu, la grande idôlée.
L'était belle et tant cajolée;
Paf! l'a chu d'un' seul' tribolée.
Dans ses mâchefers, ses platras,
Ses tracas, ses cas, ses fatras,
Paf, l'a bien chu, l'est tote à plat.
Z'orgues, vous peut bien gazouiller.
Z'encens, vous peut bien grésiller.
Z'esprits, vous peut bien zézayer.
Paf, l'a chu et l'est tote à plat.
Fallait pas qu'ell' fass' tant semblant.
Fallait pas qu'ell' no saigne à blanc.
Fallait du cœur, fallait du flanc.
N'en avait plus, n'en avait pas.
N'avait plus qu'feintise et blabla :
L'a bien chu, paf, l'est tote à plat.
LES POUMONS
Donne-moi tes poumons, bergère,
Les miens sont percés par la toux.
Ça ressemble un peu, - laïtou -
Aux drapeau revenant de guerre.
Donne-moi ces poumons jolis
Qui lèvent bêtement ta gorge.
Ou toi, petit marin poli,
Cède-moi tes soufflets de forge.
Que feriez-vous de ces poumons,
Bergère, marin, - vire et vire,
Tu mènerais paître un mouton,
Tu mènerais paître un navire.
Vous trouvez que c'st gai d'entendre
La mer qui bêle ou la brebis?
Allons, bien vite, allons, c'est dit :
Vendez-moi ces poumons à vendre.
Si c'est trop de m'en bailler deux,
N'en donnez qu'un, c'est une idée.
Je veux souffler encore un peu
Et devant le ciel m'accouder.
Entendez-vous comme je tousse.
Moi, je n'aime pas de mourir.
Mais la chance est-elle à courir
Quand on n'est pque bergère ou mousse?
Le marin, c'est pour le naufrage
Et la bergère pour le loup.
Ce serait tellement plus sage
De m'aider à tenir debout.
Au secours, il est temps, j'étouffe
Dans le supplice du garrot.
Pour mordre à mes dernières touffes,
Quatre poumons, ce n'est pas trop.
Norge - La langue verte [Gallimard // 1954]